Qu’aurions-nous fait sans Warp ? Que serions-nous devenus en dix ans, l’âge du label de Sheffield aujourd’hui ? La techno n’aurait sans doute pas gagné la place (très officielle) qu’elle occupe depuis deux-trois ans, si, en 1987, Steve Beckett et Rob Mitchell, fans un tantinet lassés d’indie pop, n’avait ouvert ce magasin de disque offrant, au milieu des Stock, Aitken & Waterman et autre INXS (1987 est l’année du carton Kick), une sélection pas sélectionnée du tout de house (le terme techno n’existait pas encore vraiment) en provenance directe de Chicago et Detroit, deux cités du nord des Etats-Unis marquées par les machines et l’industrie (rappelez-vous les Stooges et le MC5 du Detroit de la fin des sixties). Ce sont justement ces sons industriels, donc répétitifs, qui firent tendre l’oreille aux deux Anglais. Le rayon se développe, le public aussi, et en 1989, ils décident de fonder un label qui permettrait aux gens d’ici de pouvoir sortir leur propre house, ce que font déjà quelques francs-tireurs isolés sur leur propre label on ne peut plus indépendant.

A noter qu’à l’époque, le terme house englobe tout le genre et que ce qui intéresse en particulier Rob et Steve, ce sont les branches qui bipent et qui beatent à donf (ou inversement). Le duo cherche donc, non plus seulement à distribuer ce qui arrive d’outre-Atlantique, mais aussi à développer ce qui pourrait faire office d’école régionale, voire nationale. Ce seront ainsi les débuts de tous les grands noms actuels de la techno et de la drum’n’bass comme Nightmare On Wax, LFO, Grooverider, Aphex Twin, Black Dog, etc. Mais ceux-ci sont l’objet de la compile Classics.
Celle qui nous intéresse remonte donc un peu en amont et propose de (re)découvrir les influences premières de ces Anglais : une musique typiquement urbaine et en provenance de villes qui ont une forte industrialisation en commun avec Sheffield. Se retrouvent donc sur ce double CD ou quadruple LP (pour les vrais puristes) les quelques vingt-deux morceaux qui ont attiré l’attention de jeunes Anglais perdus dans leur pop nationale. Des noms vous seront sûrement inconnus mais, justement, le but de ce coffret est de rendre à Gerald Simpson (alias A Guy Called Gerald) ce qui appartient à 808 State.

Les titres remontent ici à 1986 pour les plus anciens, autant dire la préhistoire de la techno. Certains bips ont d’ailleurs un peu vieillis. Peu sont vraiment repoussants même s’ils ont subi le poids des ans en raison de leur couleur sonore. A moins que ce ne soit la curieuse impression que procure l’écoute de ces disques, d’un retour à une période « boutons sur la gueule en boîtes branchées ». Pourtant, quelques titres ont pris des rides et ne font pas leur âge. On veut parler de Nitro Deluxe avec ses bips suraiguës très drôles, d’Adonis et sa voix d’asthmatique sur des hand claps, de Fallout et son côté Pet Shop Boys, puis de 808 State, de A Guy Called Gerald, de Ital Rockers ou de Jun qui donnent toujours autant l’envie de se trémousser.
Si tout cela reste finalement très minimaliste, toujours est-il que l’expérience se révèle passionnante. On se dit à chaque titre que, « bon sang mais c’est bien sûr, je connais ce truc-là ! ». Avec Influences, y a plus qu’à mettre le nom dessus après le blind test !