Magie des noms, des images évoquées, magie surpuissante du lointain où la géographie ne se sépare plus de l’histoire, ni l’histoire du mythe : « Rien que le fait de prononcer le nom, c’est déjà toute une affaire » dit André de Margerie, actuel directeur adjoint des relations internationales d’Arte France, se livrant à l’inventaire de cet Orient qui hante l’imaginaire de l’Occident. Afghanistan : « Voici qu’un royaume n’est plus que de paroles… » C’est donc à recueillir ces paroles fascinées, expressions d’un regard le plus souvent extérieur, ébloui, saisi, ravi, que s’est employé le poète et producteur André Velter. Tenter de saisir cette passion de façon oblique, c’est choisir l’angle le mieux à même peut-être de transmettre ce qu’on aime ; le détour par la voix des autres aiguise le désir et l’accroît. Surtout, il le transmet. Voix de témoins, d’artistes, de poètes, de voyageurs et de voyants, car tous sont cela, tout ensemble. Ils ont vécu un rêve, une révélation, touché à une réalité qui leur semble maintenant d’une autre vie. Leur voix, calme et posée, reflète avec précision cette expérience commune d’un monde dont ils ne sont pas revenus, qu’ils ont su menacé et que l’on voit maintenant fracassé. Reste la mémoire, hantée d’une lumière, de la foulée des chevaux, de la dignité des hommes dont tous relèvent la parfaite adéquation à une terre qui a exigé d’eux le meilleur. Des hommes dans le regard desquels les occidentaux découvrent leur barbarie. Un fil court, des correspondances s’établissent entre ces témoignages, et c’est l’Afghanistan qui se dessine, rêve autrefois « vivant et palpable », aujourd’hui hallucination collective. Cet Afghanistan d’avant les talibans, d’avant l’Amérique, d’avant 78. « Ennemi, ne frappe pas en vain cette porte : va-t-en » dit un poème ; c’est faire au barbare l’hommage de sa propre dignité. Pour l’heure, il frappe encore, et demeure.

La musique ponctue, de loin en loin, ces paroles abîmées en ce songe vibrant qui court de voix en voix. Illustrations radiophoniques, créditées de façon presque indécelable, ces plages sonores, puisées à des sources diverses, qui n’occupent presque jamais le premier plan participent néanmoins d’un jeu subtil. S’il est une musique du monde qui soit mieux qu’une chimère, encore faut-il qu’il soit un monde dont elle puisse être la musique. Ce monde n’existe plus qu’en ces voix, témoins de sa disparition ; la musique ne peut sourdre qu’en les relayant, comme persistance exténuée de ce qui n’est plus. Belle mais déjà assourdie, déchirée comme cette flûte balayant  » le cœur sauvage du monde  » pour laisser flotter dans la voix de Michaël Barry la lumière de Balkh -« le plus grand cadeau spirituel qui m’ait été offert »-, éteinte à jamais le jour où son maître soufi fut tiré de son sommeil et achevé d’un coup de revolver dans la nuque.

Cette fresque intime, mieux peut-être qu’aucune anthologie proprement musicale, laisse entrevoir à quoi tient la musique. Elle en montre l’envers, le corrélat nécessaire, dévoile les contenus humains sans lesquels aucune musique ne peut prétendre être « du monde ». A l’aune de l’assassinat de l’Afghanistan, on mesure avec horreur les destructions à venir, nulle autre chose, peut-être, que la possibilité même de la musique au monde.

Les voix de : Michaël Barry, Serge de Beaurecueil, Peter Brook, Jacques Dars, Emmanuel Delloye, Charles de Gaulle, Joseph Kessel, Malak Djahan Khazaï, Marie-José Lamothe, Homayoun Majrouh, André de Margerie, Roland et Sabrina Michaud, Sabrina Nouri, Serge Sautreau, Pierre Schoendoerffer, Sima, le roi Zâher Shâh, André Velter.
Musique : Taranasaz, Beltoun et Hamedullah Mawash, Ahmadwali et Hangama, Ustad Sarahang, Salam Logari, Charif-e-Shiberghani