Active Suspension et Clapping Music sont deux labels français, le premier créé en 1998 par le Parisien d’adoption J.C. Baroche, le second basé en proche banlieue parisienne et créé en 2001 par Julien Rohel. Avec le label collectif Evenement! (dont les productions gravés sur CDRs et disponibles sur le site du label sont libres de droits et revendiquées comme telles), ces structures ont permis l’émergence d’une nouvelle scène électronique française aventureuse, représentée par des talents aussi singuliers que King Q4, Encre, Hypo, Domotic, My Jazzy Child, Shinsei, Melodium, Gel: ou Olamm (pour ne pas le citer). Mais surtout, Active Suspension et Clapping Music, avec les renforts d’Evenement! ou Tsunami Addiction, sont parvenus à mettre en place une véritable dynamique de groupe, un esprit de communauté, peut-être un brin parisianiste, mais définitivement créatif et avant-gardiste. Cette compilation concrétise cette belle émulation, dont on était témoin depuis quelques mois, lors de rendez-vous musicaux spontanés, de rencontres amicales numériques, de petites réunions sonores, où les envies de chacun se trouvaient poussées par l’enthousiasme de tous.

Cette communauté de goûts et d’individus est ici représentée à merveille par l’artwork du disque, conçu par les graphistes des deux labels, Event 10 et Pixel Crap, mettant en scène les musiciens présents sur le disque dans une photo de classe très classe. Cet aspect légèrement régressif illustre aussi bien la tendance générale des musiques présentées, tournées vers une approche ludique, naïve, parfois réellement enfantine, de la création sonore. Les membres de la petite fratrie active/clapping explorent les possibilités de leurs instruments (qu’ils soient acoustiques ou informatiques), avec la même spontanéité juvénile que les adeptes lo-fi du « Do it yourself », simplement et humblement, loin du désir d’universalité house de l’heureusement défunte french-touch, aux beats trop martiaux pour ne pas être démagos. Ici, tout est délicat et bienveillant, et chaque morceau témoigne d’une véritable singularité artistique, d’un réel désir d’invention et d’évolution personnelle.

Qu’ils soient l’oeuvre de collaborations ou projets singuliers, la majorité des titres présentés ici font la part belle aux recherches sonores assistées par ordinateur : Sogar déconstruit ses mélodies en y insufflant craquements et grésillements, Shinsei assemble ses sons perlant sur des courbes imaginaires, Domotic bâtit un méconnaissable bourdon de voix retravaillé sur Pro-Tools, Odot.Lamm explore la répétitivité d’un motif sonore, Hypo pose ses beats délicatement saturés sur des harpes tournoyantes, Colleen opère des glissandi de petites nappes passées à l’envers… Mais la raison d’être de cette compilation est sans doute également d’ouvrir ses portes à d’autres genres musicaux : que ce soit le psych-folk de Quasigital Love, la pop atmosphérique de Davide Balula ou le folk en finger-picking de Encre (avec Sonia au violoncelle). Les instruments acoustiques (la guitare en premier lieu) sont bien présents sur ces deux CDs, de même que les chansons : l’anti-folk naïve au yukulele de Herz Chain, le piano lo-fi et le chant éthéré de Noak Katoi, ou les petites mélodies angéliques de The Konki Duet (révélation de cette compilation : Zoé et Kumi ont le courage des oiseaux, sur un titre d’une simplicité enfantine et d’une beauté harmonique à couper le souffle). Ceci, ajouté à l’incursion electro-hip-hop de TTC, remixé par les délicieusement terribles dDamage, fait de cette compilation un panorama éclectique et passionnant, témoignant d’une ouverture musicale décloisonnante et audacieuse, annonçant un avenir radieux pour cette scène qui a cessé d’émerger, et qui est bien là, désormais.