Tommy est un b-boy déglingué originaire de Londres. Rappeur et producteur à géométrie variable, il pratique un hip-hop aussi trouble que ses origines. Frappé tôt par un virus binaire, cet ancien compagnon de route du possee SL Troopers et de Gunshot a laissé pousser ses rimes et ses sons jusque dans des dimensions psychédéliques qui lui ont valu la foudre des b-boys réguliers du pavé londonien. Le jeune cinglé, proche à l’époque du London Underground Orchestra, s’oriente vers une production de plus en plus dure et crispée, intégrant vite fait The Bedrooom Thugs ou officie la troublante Anne K. Si la guitariste de Minneapolis représente alors l’âme tourmentée de ce trio nourri de blues, de hip-hop et de rock, la série de concerts donnée aux Etat-Unis durant l’été 1996 témoigne de la place centrale de Tommy. Architecte sonore mandaté pour exécuter le monde, le producteur anglais dégaine ses « fuck you » et ses breaks assassins pour enfiler l’univers entier sans vaseline. Le son du chaos sort de ses machines.

Ce disque est le premier d’une série de beats à destinations des Mc, lyricist, writer, novelist, journalist, author, toaster or anyone who wants to contaminate it, première sortie de son propre label Sounds Of Echolaly. Revenu à un hip-hop plus régulier après la dissolution des thugzZ, Tommy n’y endosse pas pour autant le costume du producteur moyen et manipule un hip-hop qui menace d’imploser en entraînant le monde à sa perte. Ainsi, ce recueil de sons sans ligne directrice vise d’emblée le chaos. La ligne est coupée. Personne ne répond à personne et tout part en vrille. Une vrille qui pénètre de force, un sac de sons ébouriffés enfournés dans les oreilles à la pelle, la seule manière qui vaille, d’ailleurs. Et Tommy met ses théories à l’oeuvre, taille des beats pour d’hypothétiques rimes sans leur laisser aucun espace pour se placer et annihile tout espoir de « chanson ». Car ce bonhomme fait des beats, pas des chansons, il se fout du chant, d’un quelconque format et d’un refrain. D’une orthodoxie à 16 mesures et des guitares interdites (« Fume-toi, ta mère est à vendre »). Les rares harmonies qui habitent ce chaos sont gorgées de troubles, il les cultive sur de fausses machines et se fout que son rap soit beau. Le rap n’est fait que pour casser des têtes, pour soigner des cerveaux flingués. Et Tommy jette des slap secs sur des caisses tranchantes (Speed cats), marque les cerveaux au fer rouge en déchirant des breakbeats sourds qui fracturent les tympans. Et si un funk poussiéreux émeut sur Blufunk baby !, il le brise, volontairement. Effleurant un hip-hop plus calme sur Feel the canicule ou My skin is velours, il ne se penche que sur des mélodies inquiétantes, déglingue les beats, brouille tout, tout le temps, et flingue le hip-hop comme il flingue le reste. Tommy est un type sans carapace qui hurle en permanence, une espèce de nerf cervical frotté à l’acide. « Toujours pas d’carapace / Une entaille, à la place », sample-t-il sur l’inquiétant HIV negative. Seuls, deux rappeurs se risquent sur ces sons de brute. Le français MKH, un soldat fâché déjà remarqué sur The Computer crash, droppe deux freestyles que le producteur superpose, tandis que MF Doom adapte un textes aux dimensions de The B-boy was a duck.

Mais au fond, les beats de Tommy n’ont même pas besoin de Mc. Le Mc ne tient pas dessus. Rien ne tient, tout tremble. Tommy vise le chaos, ne retient rien, délivre l’expression la plus pure et la plus brute qui puisse sortir de lui. Le rythme du rap, ce chaos binaire, existe ainsi pour nous sauver. Cathartiques, le premier et le deuxième temps. Le premier vient du funk, il te défonce. Tu tombes, tu te paumes dans la mesure. Le second te bloque. Net. Te casse en miettes. Cette rythmique fracasse nos crânes comme une envie d’expirer, d’expectorer tous les démons et de vomir, à chaque fois que la grosse caisse frappe. Tommy en a saisi l’essence, et fait vomir le monde, il le purge. Son disque est l’expression la plus parfaite de ce qui se passe dans nos crânes. Le son de l’âme, l’essence. Le cri.