Tommaso Traetta (1727-1779) est l’un de ces compositeurs auxquels la musicologie reconnaît volontiers avoir joué un rôle déterminant dans l’évolution de l’opéra italien du xviiie siècle, mais que la renommée a laissé de côté. Compositeur prolifique (il ne compose pas moins de 40 opéras) originaire des Pouilles, il eut le destin caractéristique des musiciens issus de ces formidables pépinières à talents que furent les conservatoires napolitains. Elève de Porpora et de Durante, il sera le maître de chapelle de Philippe de Bourbon à Parme puis remplacera plus tard Galuppi auprès de la grande Catherine de Russie, avant de finir ses jours à Venise en 1779. Sa période pétersbourgeoise fournit les ouvrages dramatiques les plus accomplis, et Gino Negri note que cette Antigona créée en 1772 marque l’apogée de son expressivité dramatique et de la solidité de ses structures en une synthèse créative des formes novatrices et des suggestions réformistes annonciatrice du second Gluck. C’est que Traetta -et c’est très sensible dans sa musique- est comme le chaînon manquant entre la tragédie lyrique française et l’opéra mozartien. Alors qu’on décèle aisément dans le traitement des couleurs orchestrales le parti qu’il sut tirer de l’étude approfondie des œuvres de Rameau lors de son séjour à Parme et que par ailleurs la thématique et les tournures vocales nous rappellent opportunément combien Mozart fut redevable au maître transalpin, le plus étonnant reste le rôle dévolu au chœur. Conçu comme un véritable soliste, la place qui lui est attribué est de premier plan. Poignant dans les débuts du deuxième acte, il est présent tout au long de l’œuvre, soit en dialogue avec les solistes, soit en ponctuation, rompant tout au long la monotonie de la succession air-récit, propre à l’opera seria. Ici encore Traetta se montre novateur puisqu’il introduit, outre les chœurs, de nombreux ensembles (voir le duo d’Hémon et Ismène du premier acte) retenant en cela les leçons d’Algarotti sur la réforme du genre. La performance de l’ensemble de Laurence Equilbey est sûrement la plus grande réussite de cet enregistrement. Mais alors qu’Accentus trouve des sonorités chaleureuses, l’orchestre des Talents lyriques, s’il sait trouver des couleurs tout à fait séduisantes, rendant justice à la richesse de l’orchestration, l’ensemble marque le pas et manque de tonus à la longue. Quant aux solistes, si les rôles secondaires sont assez satisfaisants, Maria Bayo campe une Antigone très en deçà de la profondeur psychologique décrite par Giovanna Ferrara dans les notes du livret, semblant oublier qu’il y a un texte et que le récitatif n’est pas qu’un mauvais moment à passer : le poème de Coltellini eut suffisamment d’importance pour qu’un Frédéric II de Prusse, fin connaisseur, le félicitât en lui proposant un poste à sa cour. Il semble que les interprètes modernes soient plus attachés à la forme, prononciation, articulation, qu’au fond, le sens même, et les registres expressifs se limitent à une alternance du fort et du faible devenant par cela monochromes et comme pédagogiques, ce qui nous éloigne d’une interprétation artistique. Mais tempérons en jouissant de la beauté de cette musique et souvenons-nous que ce n’est pas un vain mérite que de nous le faire savoir.

Maria Bayo, soprano (Antigona), Anna Maria Panzarella, soprano (Ismène), Carlo Vicenzo Allemano, ténor (Créonte), Laura Polverelli, mezzo-soprano (Emone), Gilles Ragon, ténor (Adrasto). Chœur de chambre Accentus dir. Laurence Equilbey, Les Talents Lyriques, dir. Christophe Rousset. Metz, 20-27 juillet 1997.