Tiens, un disque de science-fiction. Quand on y pense, ça faisait un bail: les amateurs de bruits de valve robotique ont certes pris bonne note du retour en catimini de Jega avec l’édition inespérée de Variance en 2009, mais ils semblent avoir moins célébré le director’s cut final que l’ébauche leakée d’il y dix ans. Et entre les maxis de house analo néo Chicago et les étalons esthétiques boueux de notre époque que sont Flying Lotus et le Swim de Caribou, elle semble loin, très loin, cette époque où les sfx de Richard Devine ou le techstep faisaient cauchemarder les clubbers londoniens. Il semblait donc écrit que la fange dark et mentale du dubstep (celle qui danse exclusivement entre garçons, avec des hoodies noirs sur la tête) se farderait un jour le bébé gris métallisé, et c’est presque sans surprise la bande de junglists repentis d’Autonomic / Exit Records qui s’y colle. Quand on connaît un peu les catalogues consanguins des deux labels (à goûter par exemple sur le Fabriclive de dBridge et Instra:mental), ce n’est pas si étonnant : entre electronica désuète et deep jungle camouflée (ralentie de moitié, en fait), les artistes phares de la bande (dBridge, Commix, ASC, Instra:mental) cisèlent une étrange musique de niche, obstinément rétrofuturiste et d’autant plus obstinée qu’elle rechigne à afficher ses liens de famille avec la branche aristo thunée de la bass music (Burial qui remixe Commix, Skream qui s’essaye à la drum’n’bass à l’ancienne pour la compilation Mosaic vol.1).

Le cas de They Live, dans lequel officie Consequence (l’un des producteurs les plus emblématiques de la nouvelle génération post jungle) est le plus problématique de tous : découvert avec un maxi en forme de gros clin d’oeil à Autechre période Tri repetae, le duo livre avec Cancel standard l’un des albums les plus wtf ? dans lequel on ait eu le loisir de se paumer depuis des mois. Picorant ses sons et ses images dans quelques grimoires d’ambient, de dubstep et d’IDM gris métallisé ce petit objet sonore refuse à la fois de se laisser parasiter par leurs patterns rythmiques, leurs mélodies et leur univers onirique ; surtout, il tourne le dos aux intentions des trois genres – méditation, ébats ou danse épileptique – pour s’inventer les siennes propres. Sorte de B.O. imaginaire et dispendieuse d’un petit film de SF fauché mais rendu crédible grâce à la magie des CG (pour une fois, on vous jure que le cliché n’est pas outrancier), Cancel standard inclue jusqu’aux bruitages et aux dialogues de sa petite intrigue millésimée post K. Dick early 90s (Freejack de Geoff Murphy, Johnny Mnemonic de Robert Longo, ce genre). A la lumière de cette tentation narrative, on comprend mieux le nom du groupe (They Live est le titre original du génial Invasion Los Angeles de Carpenter, dont les dialogues ont infusé toute la culture geek jusqu’à Duke Nukem) et surtout l’arrivée inopinée dans le dernier tiers du disque de nappes 80s et de basslines salaces qu’on est plus habitués à entendre dans les disques de Legowelt ou les B.O. de Carpenter (pardi) : une petite valeur ajoutée d’images et de vapeur finalement opportune, qui donne à ce petit disque touchant une épaisseur onirique inattendue. Comme si une merdouille hypnagogique avait percuté de plein fouet une B.O. de John Powell remixée par un artiste Schematic, en quelque sorte.