Ma rencontre avec cette Communauté de l’Arbre tient du petit miracle. J’ère dans Ottawa à la recherche de quelque rareté cinématographique, quand je tombe un flyer assez minimal, SoundsUnlikely. Deux mots, une adresse, et je me déplace à pied jusqu’à la boutique, plutôt excentrée, pas très grande, limite cachée. J’y entre comme dans un sanctuaire, à l’écoute d’une compilation de relectures de Steve Reich par quelques têtes chercheuses électroniques. Je suis chez moi. Il y a des rangées de disques portant des noms de catégorie que je ne vois que trop rarement ailleurs – Experimental, OutSounds – et au fond du bac, une pochette avec quelques hippies qui courent autour d’une icône religieuse, portant une étiquette que le vendeur s’était appliqué à coller pour en décrire un contenu –75’s christian folk- suffisamment intrigant pour que je me laisse aller à une écoute.

Je lis une note de pochette au dos, racontant leur histoire. Originellement formée à la Cathédrale St John the divine à New York, les années 70 ont vu la communauté migrer à travers les Etats-Unis et le Canada, partageant publiquement musique et services rendus aux autres. The Christ tree est, à leurs dires, une méditation musicale née d’une recherche de vérité commune, élevée par des sons provenant du monde entier. Chants balinais, râga indien, liturgies écossaises, cloches mexicaines, gongs tibétains et flûtes africaines se croisent et s’entremêlent aux traditionnelles guitares folk jusqu’à filer une immense tapisserie, figurant les branches d’un arbre musical, aux 80 ramifications instrumentales.

En posant le casque sur mes oreilles, je découvre, au détour de leurs psaumes 42, 45 & 46, une Joanna Newsom délivrée de ses adorables caprices, pour ces longues progressions d’arpèges de cordes, bois, harpes et voix célestes. Il y a aussi les traditionnels pastoraux de Vashti Bunyan, pour leur limpidité cristalline et leur douceur maternelle (There is such a love). Cependant, comme toute relation fusionnelle, celle qui lie la Communauté de l’Arbre à l’Etre alterne adoration et aliénation. Se répondent ainsi a-cappellas paisibles (Jesus he knows), douze cordes élégiaques (I will not leave you comfortless) et grandes célébrations cacophoniques, climax de vocaux enragés tournés vers Dieu, parfois au cours d’un même morceau – m’évoquant les dérives psychédéliques et sauvages d’un Panda Bear. Quelque part également entre la prière et la fantaisie illuminée, leur Symphony of souls, souvent chanté dans les métros de New York, progresse par superpositions de voix, toutes partant d’une même note, dérivant hors de la gamme chacune à leur tour, créant d’effrayantes vibrations, pour finalement s’éteindre dans l’harmonie.

Un petit miracle, donc. Non pour l’hyperbole profane usée jusqu’à la corde, mais bien pour la révélation après bienfait du Seigneur, frappé par l’évidente beauté de ces pièces. Chez certains musiciens, la poursuite d’une certaine transcendance extrait parfois le meilleur de leur être – l’auteur pense fort aux illuminés Brian Wilson, Sun Ra ou Johnny Cash. Eux se mettent alors à aimer le monde entier si fort, que quiconque écoute leurs disques ne peut que les aimer pareillement en retour. Les membres de The Tree Community ont cette générosité-là. Sachez la leur rendre.