Les Pipettes existent depuis début 2004. A Brighton, Bobby Monster, guitariste et leader d’un groupe middle of the road, The Cassettes, recrute Becki, Rose et Julia pour fonder un girls band inspiré des 50’s-60’s de Phil Spector et Motown. Il les habille avec des robes à pois, leur écrit leurs premiers morceaux et le groupe commence à tourner en Angleterre. Puis Julia, lassée, s’en va former The Indelicates et le groupe recrute en audition Gwenno, danseuse dans la troupe Riverdance (danses traditionnelles irlandaises) et vague présentatrice télé au Pays de Galles. Après quelques singles à tirages limités et de nombreuses premières parties (Graham Coxon, British Sea Power ou The Go ! Team), le groupe est signé par Memphis Industries et sort en mai 2006 un EP (Meet The Pipettes) puis l’album We are The Pipettes en août.

Gwenno, blonde platine, est plutôt disco ; Rose, brunette à frange, est plutôt rock’n’roll ; Becki, blonde à lunettes, plutôt hip-hop. C’est ce que chantent, robes à pois et chorégraphies vintage, les Pipettes dans leur clip Pull shapes, dans un décor de party à l’anglaise, de swinging 60’s et de beaux gosses mods. De fait, les Pipettes jouent dans toutes les cours, remontant le temps « jusqu’à une époque où les Beatles n’avaient pas encore sévis » (dixit la bio, très Nik Cohn) : le wall of sound romantique de Phil Spector, l’usine à tubes Brill Building, l’audace productive d’un Joe Meek, sans parler des manufactures de stars Motown, Stax ou Studio One, et on en remet une couche : « Philly soul, afrobeat, disco, glam rock, riot grrrl, dance pop, R&B and, doo wop, Broadway, the radio hits of the thirties and forties, music hall, the European folk tradition ». Et puis aussi les Spice Girls (énergie bubble-gum), les Shangri La’s (lyrics teenage) et Le Tigre (cris colériques), ouf ! Bref les Pipettes sont le groupe entre tous sous influences, rétro mais pourtant puissamment moderne : parce que sur disque, ça sonne indie-rock comme du Go!Team (c’est produit par Gaz Parton, de Go! Team, justement), avec du crunch sur les charley, de la saleté partout qui graille, presque lo-fi mais super compressé et les voix, toutes les voix, en avant qui vous rentrent dedans, et les crescendos de violons d’Andy Dragazis (Blue States) par-dessus tout ça, Phillie’s meets Abba, qui vous percent le cœur ; moderne parce que ça ne parle que de ça, de sexe et de mecs et des « coups d’un soir » (One night stand), et que, même si ça se termine sur une vrai déclaration d’amour (I love you, n°14), c’est presque féministe, riot grrls, cette manière d’aller droit au but et de prendre les groupies par la queue, très loin du romantisme soft de leurs modèles (les Crystals ou même les Shangri La’s ne pouvaient pas être aussi ostentatoires sur la question de l’entre-jambes). De notre temps aussi, cette envie de se « manufacturer soi-même », d’avoir un producteur « Svengali » qui tire les ficelles derrière, qui compose les morceaux (même si elles s’y sont mises à leur tour, tous les morceaux étant soi disant composés démocratiquement), de créer un concept-band (trois nanas, chorégraphies, robes à pois) comme on le fait dans les majors ou les Stars Académies depuis toujours (des Supremes aux L5) et de l’importer dans le champ de l’indie-pop, ce trucs de garçons célibataires buveurs de bières, qui auront chacun leur Pipette, leur préférence (la brune, la blonde, les lunettes), comme une idéale poupée Nick Hornbienne. C’est diabolique, ça va marcher à tous les coups (d’ailleurs, le filon est flairé, une floppée de girls-band débarquent sur le net : les Chalets, Tralala, Schla La Las, Lucky Soul, Carrots…).

Et puis surtout, enfin, les morceaux : des tueries pop, des Pull shapes, des Dirty mind et des Your kisses are wasted on me, couplets-refrains-ponts-refrains ramassés en 3 minutes et alignés en bataillons à l’assaut des charts et des cœurs, des tubes quoi, qui vous font danser et qui vous rendent heureux, c’est le but. Que demande le peuple ? Des histoires de filles, comme dans un teenage-movie de John Hughes : l’amitié avec Judy la paria de l’école, le chagrin de rentrer seule d’une fête (It hurts to see you dance so well), les sales mecs qui ne pensent qu’à ça (Dirty mind), bref, tout ce qui fait le quotidien banal et cramoisi d’une jeune fille d’aujourd’hui, ni innocente, ni particulièrement perverse. Les petites ados indie vont adorer et les mecs vont crier  » à poil !  » pendant les concerts, mais Gwenno, Rose et Becki sauront toujours les remettre à leur place : à leurs pieds.