C’est anecdotique, mais c’est un événement en soi : Warp accueille un groupe de Detroit en son antre. Bien que marqué dès sa naissance par la vague techno, le label anglais n’a quasiment jamais entretenu de relations artistiques avec les pionniers de la cité industrielle. Juste un Kenny Larkin (l’album Azimuth en 1994) ou un Drexcyia (le maxi The Journey Home en 1995).

L’acte se passe alors dans le plus grand respect de la tradition de Detroit : un artiste (des artistes ?) anonyme, dont on ne sait rien, réfugié derrière un pseudo évasif (The Other People Place), pour un disque conceptuel, même si la guerre des astéroïdes habituelle a laissé place au café Internet (Lifestyles of the laptop café). Bref, l’ombre mystérieuse d’Underground Resistance plane, et le dossier de presse, avare en confidences, avoue quand même le lien avec le label de Mad Mike.

Voici donc un disque originaire de Detroit, et surtout, un très bon exemple de ce qu’est la techno de Detroit. Une musique avant tout rêveuse, emplie de nappes et de mélodies, pas obligatoirement destinée aux dancefloors, et ce disque s’en éloigne complètement… Une musique plus marquée par un romantisme un peu niais, mais tellement pur, tellement vrai, qu’il en devient imparablement émouvant. La définition de Lifestyles of the laptop café, Derrick May (pionnier de la première vague techno de la fin des années 80’s et boss du label Transmat) l’avait déjà formulée en résumant la musique de Detroit : « C’est la rencontre dans un même ascenseur de George Clinton et de Kraftwerk. Elle est à l’image de Detroit : une totale erreur. » Kraftwerk pour la structure electro : Lifestyles of the laptop café est encadré de rythmes electro secs et légers, de synthétiseurs aux harmonies glacées mais sensibles. George Clinton pour une chaleur, un confort et un groove omniprésents. Ajoutez à cela un traitement des sons bien spécifiques aux Américains : brut, minimal, où les effets n’interviennent qu’avec délicate parcimonie. Et cette autre caractéristique : la voix, omniprésente, se révèle un instrument indispensable qui chuchote et suggère plus qu’elle ne chante.

Lifestyles of the laptop café s’ouvre alors dans le plus grand onirisme, Eye contact et It’s your love conduisent sérénité et rêveries, bercés de nappes sombres et de mélodies synthétiques, une recette vieille de dix ans, mais Detroit se fout du temps. Puis l’intensité croît, les morceaux de l’album défilent, envahis de bribes de voix fantasmagoriques. Féminine dans la question (You said you want me), masculine dans la réponse (Let me be me, certainement le meilleur morceau de l’album), elles deviennent inquiétude avec Running from love et Lifestyles of the casual, entourées de sonorités étranges et désorientées.

On regrettera juste le morceau Moonlight rendez-vous. Pas raté, mais ce titre coupe la progression amorcée et risque, bêtement, de décourager certains d’aller plus en avant. Oubliez aussi le ridicule des titres des morceaux, ne condamnez pas la naïveté des mélodies et des arrangements, laissez-vous bercer, tout ici n’est que premier degré, et au final, touchant.