Le nouveau projet musical du tandem formé par Marie Möör (lire notre entretien) et Laurent Chambert, The Other Colors, vient sans doute creuser le sillon du travail qu’il a commencé depuis quelques années sous le nom de Rose et Noire. Marie Möör a ce statut un peu encombrant de célèbre inconnue (ou inconnue célèbre, selon que l’on soit porté à voir des verres à moitié pleins ou des verres à moitié vides) : épouse / égérie du saxophoniste Barney Wilen, elle oeuvre dans un registre « chanson new wave » (à défaut de meilleure classification) depuis le début des 80’s, ce qui l’a amenée à accéder à quelques instants de gloire (la « une » de Libé en 1988, des textes écrits pour les deux derniers albums de Christophe : LA Man, J’aime l’ennui, Parc Rimbaud, Odore di femina) sans jamais tout à fait transformer l’essai (un album complet enregistré avec Murat encore inédit à ce jour, une certaine « invisibilité » médiatique en dehors du cercle restreint des quelques initiés…), malgré une qualité d’écriture tutoyant la poésie et des parti-pris esthétiques sans concessions, qui ne donnent pas pour autant dans l’abscond.

Quelque part entre sculpture sonore, art contemporain et chanson sophistiquée (l’étiquette vocale néo-réaliste de Marie Möör a presque disparu), les chansons de The Other Colors demandent peut-être un peu plus d’effort que celles de Rose et Noire, car celles-ci n’étaient pas sans parfois enrober leur propos austère et esthétique de quelques mises en son accrocheuses (on pense en particulier à l’imparable ritournelle Tout m’est égal). 361 propose un parcours très scénarisé et écrit : un parcours du corporel ou de l’organique vers le spirituel ou le méditatif . The Other Colors ne se montre « civilisé » que sur Roulons dans les fleurs, dont on pourra même siffloter le refrain, alors que presque partout ailleurs sur le disque, on retrouvera les ambiances glacées, minimalistes et robotiques des plus récents Alan Vega (Aucune blessure pourrait aisément figurer sur Dujang Prang, et pas seulement pour l’aspect sonore) dont le seul véritable fil rouge est la voix si particulière de Marie Möör, sorte de Fréhel électronique, à la tonalité « aigre-douce » (comme était titré un ancien album solo, du temps de l’aventure avec Barney Wilen) marchant dans les pas des « pratiquants » de la poésie sonore. Cette radicalisation du son justifie donc tout à fait le changement de nom pour le duo Möör / Chambert et, surtout, s’explique par le fait que ce soit Laurent Chambert qui imprime très clairement sa marque sur ce nouveau projet. Si le disque commence et finit avec panache, on émettra cependant une réserve sur un milieu d’album moins convainquant avec ce Rendez-vous en deux mouvements, un peu anecdotique et daté, suivi d’un instrumental (Il est temps d’affronter la réalité) qui apporte assez peu au propos du disque.

Toutefois, tout amateur de SF portée sur le mélange éros et thanathos, à la Philip José Farmer, ou d’étrangetés stylées, à la Isidore Ducasse, goutera les ambiances interlopes de titres comme Dans ma bulle noire : « Bien installée dans mon orgueil comme dans un somptueux fauteuil de marbre noir, j’invite parfois une inconnue et je la couche à demi nue dans les glaïeuls. J’observe, je dissèque, je me marre… dans ma bulle noire ». Marie Möör embrasse d’ailleurs tout à fait la posture du monstre, du paria, chère au Comte de Lautréamont sur La Musique dans ma tête, un des morceaux les plus poignants du disque, dont le texte désolé est porté, à l’économie, par de fragiles virgules sonores, entre harpe et koto, s’enchaînant sur le funèbre et final O Xanax. Même si l’intention et la forme ne peuvent être tout à fait considérés comme parfaitement jumeaux, on conseillera l’écoute de 361 à tout ceux qui ont été séduit par le décloisonnement opéré par Christophe sur Aimer ce que nous sommes. Tout comme le rockeur de Juvisy-sur-Orge, Marie Möör et Laurent Chambert ont à coeur de s’affranchir des limites de la chose chantée et du concept même de disque ou d’album. On ne les en remerciera jamais assez.

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