Certains jours, pour certains disques, on pourrait se contenter de dire : « Ecoutez-le. » Ecoutez-le et vous verrez. Car il paraît assez sûr que, sans aucun préambule, Lucky number nine, qui ouvre l’album des Moldy Peaches, vous rendra fou. Une démence délicieuse qui fait bondir, du lit jusqu’au tapis, les bras en l’air, pendant les 19 titres d’un disque irrésistible. Et dès la deuxième écoute, Adam et Kimya (les Moldy Peaches) vous feront même brailler en chœur leurs refrains affolants. On se surprendra alors en pleine poésie de l’East-Village new-yorkais, avec candeur, à tue-tête entonner « … sucking dicks for extasy » (Downloading porn with Davo) ou « …all the tombstones sky-scraping, all the rock-stars double-dating » (NYC’s like a graveyard).

Ce disque distille un subtil mélange de name-dropping, de glamourous-trash et de romantisme naïf, presque enfantin, à faire ronronner le Warhol en chacun de nous. Et on voudrait faire goûter ces petites pêches moisies (« Moldy peaches »), bien sucrées, à tous ceux qui nous entourent, dévaler les boulevards fenêtres ouvertes, l’autoradio à fond les manettes, pour faire savoir que même si Lou Barlow n’est pas vraiment prêt à nous offrir un nouveau Weed Forestin ou Electric Idiot, on s’éclate à Manhattan. Et on imagine le succès de Kimya et Adam, comme de petits Lee & Nancy (Hazelwood & Sinatra) punk, jusqu’alors limités par le Brooklyn Bridge, s’élargir, se répandre partout et partager les charts avec la r’n’b pure et dure. Christina Aguilera et Who’s got the crack des Moldy Peaches, en tête des classements mondiaux, ce serait bien.

En même temps qu’un enchaînement hallucinant de tubes de l’indie-punk-rock-folk, l’album des Moldy Peaches nous amène une fraîcheur indispensable avant l’été tout chaud et tout poisseux qui nous attend maintenant. Une petite brise revigorante, qui fouette même un peu le visage par moments, et qui sent bon le vrai songwriting, de Subterranean homesick blues à White light white heat. De vraies chansons qu’on amènera en voyage, jamais écrasées par les subtiles références de ces gamins, qui s’étendent de Check your head des Beastie Boys (On top) à Fun House des Stooges (NYC’s like a graveyard), sans pour autant jamais trop s’éloigner non plus.

Encore une fois, les producteurs-arrangeurs, mercenaires pour majors, aux studios de 2756 pistes numériques, auront peur que soit révélée leur complète inutilité, et que Madonna enregistre son prochain album dans la salle de bains, avec Lourdes à la basse. La mélancolie, l’étonnante amertume des quelques perles tristes de l’album des Moldy Peaches (Lucky Charms) les accompagnera peut-être dans un exil en Suisse, allez savoir. Car pour ceux qui croiraient encore que le rock lo-fidelity, enregistré avec un micro pour deux a été enterré par les boîtes à rythmes néo-funk de Beck ou le dernier Dire Straits, on notera qu’a commencé une nouvelle décennie, un nouveau siècle, avec déjà The Coroner’s gambit des Mountain Goats cet hiver, et les Moldy Peaches cet été. Des adeptes du magnétophone qui font les plus belles chansons qui soient…

On ajoutera qu’avec ces mini-stars de l’anti-folk new-yorkais, Rough-Trade Records, label défricheur s’il en est, 15 ans après The Queen is dead, s’intéresse aujourd’hui de près aux « open-mics » (scènes ouvertes) du Sidewalk Café dans le Village, où n’importe qui peut venir déclamer, déguisé en lapin, un poème déchirant sur l’augmentation des loyers Downtown ou sur l’héroïne. On se prépare donc déjà à la sortie du disque de Jeffrey Lewis, auteur de comic-books-jounaux-intimes, qui partageait il y a peu la scène du Sidewalk avec Kimya des Peaches et Daniel Johnston. Histoire à suivre…