Que faut-il espérer d’un nouvel album des High Llamas ? Quelques mois après une double compilation, Retrospective, Rarities & instrumentals, premier bilan d’une fertile exploration musicale, voici Beet, maize and corn. Sean O’Hagan est un entêté. Il creuse, laboure, défriche la même terre depuis une bonne dizaine d’années, toujours en quête de la mélodie du bonheur, et pas loin de l’avoir trouvé, cette fois. La terre promise de ce pop-orpailleur, c’est une Amérique imaginaire, continent-mythe que la musique tente de refaire indéfiniment., On a évoqué de multiples figures tutélaires à cet égard : Charles Ives, Ennio Morricone, Brian Wilson. Mais davantage que l’âme des Beach Boys, c’est du côté de Van Dyke Parks qu’on pourrait lorgner, dans cette capacité à ouvrir des brèches vers d’autres continents pour réinventer cette Amérique-là et la découvrir, enfin. Ce nouvel album est la plus belle réussite du groupe à ce jour. Plus élégiaque et pastoral, plus court aussi, ce qui évite l’épuisement qui pouvait guetter autrefois, tant les albums précédents des High Llamas étaient longs et denses. Autre changement, plus d’électronicité pour chahuter les arrangements ; cordes et cuivres encadrent chaque chanson, guidée par une guitare acoustique ou un piano, et par la voix toujours aussi douce et diaphane de Sean O’Hagan. Que faut-il espérer d’un nouvel album des High Llamas ? Une certaine grâce, sans faillir. Ce voyage-là, qu’on n’attendait peut-être plus, il est à ne pas manquer.

Sur le même label sort ces jours-ci également l’album promis et longtemps repoussé (4 ans) de Count Indigo. Sans doute moins remarquable musicalement que son camarade de label, cet Homme fatale n’en est pas moins un objet fascinant et recommandable. Inspiré du funk et de la soul 70’s (look Isaac Hayes, intonations Curtis Mayfield), de la R&B la plus mainstream d’aujourd’hui (sur le titre à contre-pied Lo-fidelity), ou du easy-listening le plus antidaté (les lignes de basse Charlie’s angels), il se distingue surtout de la production actuelle en tant qu’il est un véritable concept-album, objet d’art esthétique (dans tous les sens du terme : qui relève des sensations), autour de la figure (le paradigme ?) Count Indigo. Illustrant une dissociation fondamentale du genre depuis ses origines -la soul s’est construite sur le mariage des rythmes endiablés du rythm’n’blues et des harmonies célestes du gospel- l' »homme fatale » Count Indigo incarne avec subtilité la dissociation spectaculaire d’une personnalité tiraillée entre ses attaches morales judéo-chrétiennes et ses désirs de libération (sexuelle, identitaire, artistique). Reflétant les stéréotypes de la culture pop (crooner rock, travesti glam, prêcheur soul etc), Count Indigo est à lui seul un masque de plus, moustachu, à accrocher dans la galerie de portraits de l’histoire de la pop. Presque au bout du couloir. Entre la vieille Europe repliée sur elle-même et l’idéal américain d’universelle fraternité, Count Indigo est le borderline funambule, le nouveau porte-drapeau d’une « European Soul » (« dans la tradition du Young american de Bowie, Songs to remember de Scritti Politti et NightClubbin de Grace Jones »), en tout cas, un véritable artiste. Chapeau.

et