Voilà quelques années, déjà, qu’on s’intéresse à la trajectoire du batteur John Hollenbeck : nos plus fidèles lecteurs se souviennent peut-être d’un article de 2002 (!) dans lequel, à l’occasion de la parution simultanée (en import) de deux albums (dans deux formations aux prénoms féminins : le « Quartet Lucy » et le « Claudia Quintet »), on pariait quelques kopecks sur son avenir musical. On n’avait pas trop eu l’impression de s’être trompé à l’écoute de la suite des aventures du Claudia Quintet (Semi-formal), on ne l’a définitivement plus avec ce passionnant For où l’américain et sa bande (Chris Speed, saxophones ; Ted Reichman, accordéon ; Mat Moran, vibraphone ; Drew Gress, basse) créent une sorte de musique acoustique dont on jurerait qu’elle est électronique, un jazz dont on jurerait que c’est de la musique contemporaine, une mixture improbable et obsédante qu’on serait volontier tenté d’attribuer, à l’aveugle, à une rencontre entre Steve Reich (les répétitions, les modules emboîtés, les lignes mélodiques qui s’entrecroisent pour former des figures et des volumes en mouvement, les morceaux qui se développent par agrégation, ajouts, complexification), le Tin Hat Trio et, disons, un groupe de jazz new-yorkais issu de la galaxie Knitting Factory (à vous de continuer le jeu des comparaisons, sans véritable objet d’ailleurs, tant la musique proposée est originale). D’une certaine manière, on est assez loin, avec le Claudia Quintet, des canons et structures habituels au jazz : pas de développement des morceaux en thèmes / solo mais des germinations lentes (du point de vue méthodologique, on pense un peu aux spirales complexes d’un Steve Coleman – là aussi, la comparaison s’arrête là), pas d’exploits individuels (quelques solos ici et là, tout de suite interrompus, ensuite repris) mais une interaction comparable à celle d’un petit orchestre de chambre classique, bref, une démarche qui se rapproche plus de la musique contemporaine que du jazz à strictement parler.

Ceci dit, c’est bien le jazz que l’on retrouve dans l’énergie rythmique, dans l’audace, dans le goût expérimental des mélanges de timbres, voire dans certaines explosions de la machine parfois (où l’on côtoie alors le free). L’humour, on s’en doute (on connaît l’animal), n’est pas absent du projet, qu’on repère notamment dans le titre énigmatique du septième morceau, Rainy days / Peanuts vendor mash-up (for all music teachers) (renseignements pris, il s’agit d’un hommage d’Hollenbeck à ses propres obsessions musicales d’enfance, avec un mélange du tube des Carpenters, Rainy days and mondays, et de l’arrangement de The Peanut vendor par Stan Kenton). Bref, For est, pour l’heure, le témoignage phonographique le plus abouti du travail du Claudia Quintet, et l’un des disques « de jazz » (guillemets, donc, mais le terme n’est pas usurpé pour autant) les plus passionnants de ces derniers mois, à tous points de vue.