Tomlab, joli label de Cologne, prend décidément une dimension toute internationale en sortant en Europe les disques des français George Leningrad et des américains The Blow, deux belles réussites.

The Blow sont Khaela Maricich et Jona Bechtolt, duo crossover fasciné par la formule physique de la musique populaire parfaite (Pharell, Spector, Quincy) et pourtant venu de la scène DIY américaine (Olympia, K, etc.) : sa musique est donc un mix inédit de formatage mainstream-dancefloor, et de spontanéité punk (QI au dessus de la moyenne, chant déséquilibré, lyrics intimistes) : Pile of gold explore les relations intersubjectives et amoureuses sur un mode rationalisé (« All the girls are sitting on a pile of gold, and the boys, you know, they want it »), à l’image de la musique qui l’accompagne (r’n’b synthétique, cuttée au laptop, saccadée de riffs succincts) ; The Big U est une variante de Drop it like it’s hot, cheap et poétique (« I must admit, I’ve been a little bit afraid of your relationship with the universe »), The Long list of girls fait dans le Destiny’s Child minimal, avec voix qui fluctue, flanche et fausse ; Bonjour jeune fille est à moitié en français sur de petites rythmiques 8 bits ; Babay sonne Crystals, avec glitches impromptus et beat syncopé… Beaucoup d’éléments disparates identifiables, donc, mais réunis et synthétisés en une pop légère et quasi-parfaite, sans l’efficacité désincarnée du mainstream et sans le négligé grunge non plus. Bref, un petit bonheur.

Grâce aux Georges Leningrad, c’est Halloween toute l’année. Le trio québécois (Poney P, Bobo Boutin et Mingo l’Indien) a définitivement pris le parti des forces obscures, du vaudou punk rock, des crissements électroniques analogiques, du Grand-Guignol sanguinolent, du mauvais goût ricanant, de l’humour absurde et de la bestialité crasse. Sangue puro convie l’auditeur à un cérémonial « rock pétrochimique », avec des décors en carton-pâte façon série Z mexicaine et délires surréalistes à la clé. Remplacez Alan Vega par une sorcière de comix éructant comme Lydia Lunch, passez au tamis No-wave mâtiné d’electro-punk primitif et dansant, arrosez d’un soupçon de guitares garage-surf et enflammez le tout avec une batterie aux pulsations tribales, entre free jazz, hardcore et Picon bière. Les Georges Leningrad ressuscitent la bad attitude dans la plus pure tradition rock n roll, assorti d’une dimension freak-show, à mi-chemin entre les Maitres-Fous de Jean Rouch et Pirate des Caraïbes version clodos psychédéliques. A en croire leur accoutrement et leurs personnages scéniques tatoués au feutre noir, les Georges Leningrad sont du genre fétichiste; on imagine leur intérieur remplis de trophées kitsch : collants-panthères et slips kangourou, araignées en plastique et masques esquimaux, fumetti porno-gore et boîtes de cigare débordant de gris-gris… Car c’est aussi ça le Rock Pétrochimique, un mode de vie excentrique et malpoli, qui brasse allégrement les boutades québécoises avec une poésie entremêlant profane et sacré, convoquant les fantômes de Dada, Jarry et Rabelais. Cerise sur le kougloff, une longue plage finale de « synthétiseur ondulatoire à crochetons F2 » évoquant à la fois Pierre Henry, Felix Kubin, et la bande-son de Planète interdite. Que les portugaises chastes retournent vite s’ensabler, car les Georges sont sans pitié. Ca passe ou ça casse, nous, on en redemande.

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