Voici trop longtemps que cette engeance néfaste prétend incarner le présent d’une chanson qu’elle empaille. Les Têtes Raides, comme leurs clones La Tordue, comme leurs épigones Casse-Pipe, comme leur variante américanophile Louise Attaque, comme encore les cent mille groupes franchouillards qui hantent les bars du canal Saint-Martin, sont en train de transformer la chanson française en contrefaçon régionaliste, à placer entre I Muvrini et Matmatah.

A peu près tout chez eux est insupportable : les voix viriles, la diction affectée rive gauche, la poétique ostentatoire des textes, la banalité des compositions, les prétentions antifascistes… Mais le pire est au fond ce qu’il y a de plus supportable : cet ascétisme affiché dans le parti pris de l’acoustique. Vrai que rien n’est plus beau que le timbre non altéré de l’hélicon, mais si c’est pour faire la pompe sur ces misérables couplets de Prévert au rabais, autant faire slapper Janick Top. Au moins, on verrait ses mitaines en cuir dans le clip. Ce cirque de l’authenticité, qui consiste à n’adopter aucune posture, aucune tournure, aucun instrument, aucun thème, aucun ton sur lesquels pèserait une présomption de frivolité, ce cirque donc nous fait vomir. Dans le hip-hop comme dans la chanson néo rive gauche. Cette rage à vouloir paraître authentique, poétique, et de gauche est la plus sûre marque de la fausseté et de l’étroitesse d’esprit.

La facilité avec laquelle cette espèce compose des chansons pour les sans-papiers (ici, L’Identité qui clame « que Paris est beau quand chantent les oiseaux / que Paris est laid quand il se croit français ») éclaire sans équivoque sa nature militante. Elle est en fait l’héritière de Jean Ferrat, non de Georges Brassens, qui n’a jamais prétendu parler au nom de qui que ce soit d’autre que lui-même. Je ne laisserai jamais personne parler en mon nom.