Des traits de trompette réverbérée comme des entailles au cutter, des guitares sous crack de la porte de Bagnolet, et le chant de la pomme de terre ébouillantée : au panthéon des grands héros nationaux méconnus, la rencontre entre les fleurs de lys de Berrocal, le communaliste Tazartès et le jeune encyclopédiste Fenech a des airs de retrouvailles touchantes. Trois ovnis dans le paysage français, forts de leurs discographies et bagages respectifs, hybridant conflits ethniques et honnêteté free, mystères jazz et folklore profond.

Cloches, soufflets, boucles et sous-couches indéfinissables… Peu de choses sont aussi casse-gueule que l’envie de sonner papou. Ici, malgré quelques sorties de route brièvement embarrassantes, on évite les travers du tribalisme d’emprunt. Plus précisément, l’effet pow-wow – inévitable – semble être le prix à payer pour les moments de grâce, quand la musique réinvente le caractère déclamatif des traditions orales les plus profondes. Portée par ce chant si spécifique à Tazartès, elle s’ancre dans une terra incognita mâle, primitive et mélancolique.

La conversation semble dériver paisiblement entre les trois protagonistes, passant naturellement du mélodique à l’atonal, de l’avant-garde au folklore avec une vraie sincérité. Alors certes, les coups tordus restent raisonnables et les conflits d’humeurs en sourdine. La mise en son, élégante, filtre un peu la rugosité, mais chacun est quand même ici visiblement à son meilleur. Les voilà pour certains délestés de leurs ponctuels péchés poétiques, des marottes un peu défraîchies qu’affectionnent forcément tous les grands anciens. Que reste-t-il à faire quand on a sadisé Nurse With Wound et tutoyé Yvette Horner, chanté Michel Chion, bretté avec Jad Fair, passé ses nuits avec Pauvros, Portal ou Marie-France, tué dans les caves avec Mesa of the lost women ? Calme et langoureux, cet album en forme de réponse collective recèle les grandes qualités de ces disques faussement simples : ligne claire classieuse sur fonds d’orage.