Attention, voilà un disque sauvage. Qui martèle sans cesse, avec une énergie dévastatrice et conquérante, et défend la cause d’une musique qu’on croyait oubliée, reléguée en arrière plan de la culture. Vous savez, cette musique qu’on appelait la techno. Aujourd’hui vampirisée par la pop, les eighties, les miaulements agaçants de Djettes bourrées à la kétamine. Soufflée par un pathétique revival guitares et claviers. Un peu plus, et on avait presque oublié que si une musique avait bien besoin d’un coup de lifting, c’était évidemment la techno. Sans rémission, après la minimal house magnifique, informatisée et cliquetante de la scène californienne (Sutekh, Twerk, Mannequin Lung, John Tejada) et les envolées linéaires made in Berlin (de Basic Channel à Perlon), c’est donc la techno originelle de Detroit, industrielle, froide, obsessionnelle, qui est plongée dans un bain de jouvence. Luke Slater défoncé à l’electropop, Ritchie Hawtin barré dans son mix art abstrait, il ne restait plus grand monde pour s’atteler à la tâche. Surprise, c’est le hollandais Jocheem Paap, qu’on croyait définitivement ailleurs dans ses (passionnantes) expérimentations abstraites, qui est donc le premier à raviver la flamme, comme habité d’un étonnant désir de remettre les points sur les « i » de la musique de danse.

Surprise parce que Speedy J, au début des nineties, se partageait plutôt entre une progressive house mélodique à la limite du vulgaire et une « electronic listening music » céleste et poétique (cf. le légendaire G-Spot, sur Warp). Ici, il présente une techno à peine mutante, survoltée, glaciale, industrielle, conquérante. Bref, un déluge de rythmes tribaux sur lesquels viennent s’écraser quelques rares effets sonores tourbillonnants, entre le minimalisme industriel de Riou ou Unit Moebius, et la verve dance-floor de l’américain Joey Beltram. Une musique qui prend à la gorge pour ne plus vous lâcher. Une musique presque militante aussi ; le disque est conçu comme un mix en deux parties, le premier plus abstrait et presque « reposé » sur un tempo « raisonnable », comme une merveille de funk industriel, le deuxième complètement hystérique, plus traditionnel aussi, à la limite de l’exercice de style. Comble de la démonstration, les breaks ravagés de la onzième plage ont été enregistrés « live », dans ce qu’on imagine être un immense entrepôt désaffecté, à grands renforts de hurlements extatiques. Un vrai hommage à la musique de rave, donc, enragé et inattendu. On ne sait quelle mouche a piqué Speedy J pour qu’il nous livre cet opus engagé, à contre-courants de toutes les tendances de la musique actuelle. Mais on sait qu’il y a plus de rock’n’roll dans ce monument technoïde que dans n’importe quel ersatz contemporain de Suicide, de Television ou des Stooges. En résumé, Loudboxer est un disque hurleur mais sacrément salutaire.