Après avoir tutoyé les Dieux du stade il y a trois ans avec son premier album Olympic Games, le groupe neo-kraut finlandais Siinai poursuit son modeste questionnement sur le monde moderne, avec en ligne de mire les supermarchés de l’Occident. Tandis qu’Olympic Games  se présentait comme une bande-son destinée à accompagner les sprinters en lice aux Jeux Olympiques, du coup de feu aux dernières foulées, Supermarket vise à se fondre dans le quotidien des caddies et des étalages, pour devenir, selon leur propre expression, « a soundtrack for the supermarket nations ».

 Conçu comme une bande-son pour faire ses courses, depuis l’entrée dans la grande surface jusqu’à sa sortie, Supermarket anime au fur et à mesure un quotidien presque indicible tant il est devenu banal. Ici une queue jusqu’à la caisse, là, le sourire d’une caissière et surtout, la lente hypnose de la promenade entre les étalages, sont autant de moments fugaces sur lesquels le quatuor s’appuie pour développer ses long morceaux dédiés à la transe, sur lesquels plane aussi bien l’ombre de The Field que de Brian Eno.

Sachant que les quatre membres du groupe ont grandi dans de minuscules bleds finlandais avant de faire connaissance à Helsinki,  on devine sans peine les motivations qui ont présidé à un tel projet : dépeindre avec un regard semi-amusé, semi-hypnotisé, le quotidien morne de leur adolescence. Une adolescence sans doute passée à traîner aux alentours des centres commerciaux finlandais, réputés pour leur tailles énormes et qui peuvent parfois regrouper tous les commerces d’une ville sous leurs ailes, drainant en un seul endroit tous ses habitants. De la ligne de basse de Shopping Entrance à la lente procession ambient de Jonotus/Queue, Supermarket serpente entre les rayons, nous plongeant dans le grand bain amniotique de ces architectures minimalistes et ultra-fonctionnelles.

On pourrait alors penser que Supermarket s’apparente à une satire facile, avec en ligne de mire l’un des symboles les plus surfaits de la société de consommation, ladite transe se muant en une représentation musicale de notre propre conditionnement de consommateur hébété. Il n’en est rien. A travers ses nuances les plus subtiles, on y perçoit plutôt une invitation à observer d’un œil vierge ces blocs grouillant de vie et de mélancolie, à la façon d’un hubot s’éveillant au monde industrialisé, jusqu’à atteindre une forme de stase contemplative devant la géométrie troublante des étalages et la profusion des produits, agencés comme les accessoires pop d’un culte étrange. Et l’on se prend soudain à percevoir ces temples du monde industriel non plus comme les vecteurs de notre aliénation, mais comme les vestiges d’une civilisation extra-terrestre, d’ores et déjà révolue.