Premier album en leader pour Sébastien Texier qui, sorti depuis longtemps maintenant de l’ombre du père, le contrebassiste Henri Texier, s’est fait un prénom au gré des différentes formations auxquelles il a pu participer, notamment le trio du batteur Christophe Marguet, l’ensemble de Laurent Dehors (« Tous Dehors »), le groupe « Océan » de la harpiste Isabelle Olivier ou, bien sûr, l’Azur paternel. La place déterminante de Texier père dans le paysage du jazz hexagonal et sa très forte personnalité musicale étaient pour Texier fils, comme dans chaque cas de filiation artistique, quelle que soit d’ailleurs la discipline, une chance incroyable et un obstacle considérable. Chance d’avoir toujours fréquenté le monde musical, d’y avoir été éduqué par l’une des plus grandes figures de la scène européenne contemporaine, de s’être vu transmise une idée forte et généreuse de la musique en général et du jazz en particulier ; risques, en même temps et au pluriel, de rester dans l’orbe familiale, de supporter le soupçon de népotisme (encore qu’il soit peu envisageable dans un art aussi exigeant techniquement que la musique, où l’on ne fait pas long feu si l’on n’a pas les moyens réels de ses ambitions), de ne pas pouvoir affirmer surtout sa personnalité en restant à jamais le « fils de » (deux mots qui, depuis des années, collent par exemple à la peau d’un Denardo Coleman, pour ne citer que lui).

Les nombreux et brillants faits d’armes grâce auxquels Sébastien Texier s’était déjà fait connaître montraient déjà suffisamment combien il a su profiter de sa chance et éviter ces risques : Chimères, dans lequel l’ascendant paternel se fond dans un brouet d’influences dont le mélange génère une véritable touche personnelle, confirme la stature d’un musicien que l’on connaissait remarquable instrumentiste et que l’on découvre ici compositeur et arrangeur (il signe sept des dix morceaux du disque). Mis sur pied voici une demi décennie déjà, ce quintet sans piano fait la part belle à toutes les possibilités des cuivres (le bulgare Gueorgui Kornazov au trombone, Alain Vankenhove à la trompette), clairs et vibrants sans être tapageurs ou claironnants, et entre lesquels le leader insinue tantôt son saxophone, tantôt une clarinette (un instrument que le sorcier morvandiau Jacques Di Donato lui a appris à domestiquer : il se voit dédier la première composition du disque, Dido). Par delà la vigueur et l’inspiration des solistes, c’est le soin accordé aux arrangements qui retient sans doute le plus l’attention dans ce disque, quel que soit d’ailleurs le registre (explosif et acrobatique ici, avec, comme le souligne Pascal Anquetil dans son texte de pochette, des couleurs presque mingusiennes ; lent et savamment équilibré ailleurs, dans deux ballades qui n’en sont pas les passages les moins réussis). Une rythmique idéale, Jacques (batterie) et Nicolas (basse) Mahieux, donne son assise au ballet des cuivres. Comme pour rester dans les histoires de familles, tout en en sortant complètement.