Loin des clichés d’un hip-hop couronné par une industrie qui décide désormais de son format, loin des pleines pages de magazines et des bons sentiments journalistiques, vivent quelques labels qui font avancer le Mouvement. IV My People est de ceux-là, qui vient de sortir son véritable premier véritable opus, porté par le flow de Salif. Et si rares sont les rappeurs qui se permettent de livrer en bloc la totalité de leurs textes sur la jaquette de leurs albums, Salif, lui, l’a fait, sans aucune autre prétention que celle de nous signifier « Ecoute ! Ecoute vraiment ! ». Comme pour faire revivre cet adage passé aux oubliettes mais qui présidait pourtant à la naissance du Mouvement : « Word is bond. » J’assume. Ma parole est un engagement. Et sur sa pochette, Salif est tout seul, enfermé dans ses toilettes, faisant écho aux paroles de Kool Shen, fondateur du label, qui rappait il y a quelques mois « Comme si avoir comme point commun d’être né dans la merde suffisait ». Il ne se cache pas derrière des rêves, fait état de ses désillusions et délivre une réalité brute : celle de cette solitude inéluctable vers laquelle nous pousse chaque jour un peu plus la misère qui plane sur nos sociétés industrialisées, à l’image de la rayure qui balafre le titre, transformant « Tous ensemble » en « Chacun pour soi ».

Issu du posse « C 2 La Balle », au sein duquel il posait ses phrases avec son ego EXS sous le nom de Nysay, déjà présent sur l’album de Zoxea, Salif est loin d’être un novice. Après s’être créé un buzz sur mesure avec le désormais classique Eenie, Meenie, Miny, Mo repris à la fin de l’album, portant le hip-hop dans l’âme à l’image de son écurie, il vient de lâcher dans nos bacs un album brillant, introspectif et intelligent, renvoyant dos-à-dos les puristes comme les déviants d’un mouvement qui se divise et s’invente des différences jusqu’à s’en faire des raisons. Ni beauté, ni magie, ni thèmes faciles, l’album s’ouvre sur un hommage vibrant à ses parents (Dur d’y croire). Remettant à leur place bon nombre de MC qui se confortent dans leur image de racaille, Salif évite du même coup les photos tapageuses, les tasspés et autres grosses cylindrées qui fleurissent sur les albums d’un hip-hop étouffé sous les atours vicieux d’une société qu’il prétendait combattre. Pas tendre non plus avec les journalistes ou les directeurs artistiques sans en faire pour autant une règle de vie, il a cette capacité à nuancer les choses, et sa critique incisive tombe juste, laissant de côté les diatribes classiques et consensuelles du genre « L’Etat nous baise », pour délivrer un message conscient d’une réalité beaucoup plus complexe (Street is watching…).

Résolument hip-hop, son émeute ne réunit pas les clichés de la banlieue mais la jeunesse entière, un flow « renoi-rebeu-babtou-tway », une fièvre sans dieux ni maîtres, qui résonne comme un idéal farouchement sauvegardé, rêvant ouvertement de crever l’abcès purulent qui baigne la société du spectacle. Simple et introspectif, Salif parvient à narrer sa vie quotidienne en un flow tendu, large et bondissant, cultivant les assonances, surgissant hors du sillon en évitant les écueils faciles pour délivrer une vision éclairée. Epaulé à la production par Sec.Undo et Madizm, architectes attitrés du son IV My People, il a cherché à rompre avec les normes impulsées par une industrie aux dents longues. Les beats, lorgnant allègrement vers des sonorités électroniques encore peu utilisées en matière de hip-hop, mêlés aux rythmiques saccadées, impriment à cet album le rythme haletant de la rue qui l’a construit, même si on doit excuser quelques flans un peu faciles comme le refrain de Tous ensemble. Pour ce qui est des featurings, Salif est secondé tout au long de l’album par son compère EXS, par Serum, et puis par Kool Shen et Zoxea pour un Sous bass and drum oblige, curieusement mué en Sous l’BDO. Comprenne qui pourra…

Espérons que le message sera saisi. Parvenant à dresser un pont entre l’underground et les radios sur les ondes desquelles il semble s’installer, le discours de Salif renverse la donne. La vérité est en train de devenir mainstream, et son ferment subversif ne tardera pas à exploser à la face de ceux qui ont cherché à l’instrumentaliser.