Poses ou le retour d’une des plus belles gueules d’ange et d’un des plus précieux compositeurs de ces dernières années aux USA. Pour ce second album, le fils de Loudon Wrainwright III s’est enfermé plusieurs semaines, avec un piano pour seule compagnie, dans une chambre du mythique Chelsea Hotel de Manhattan. Les chansons de Poses donnent l’occasion de retrouver cette voix magnifique, immédiatement reconnaissable, et le lyrisme sans pathos de son maître. Tout ce qui nous avait séduit sur Rufus Wrainwright, ce premier album en forme de coup d’essai/coup de maître de 1998. En 2001, les mélodies du jeune homme romantique sont toujours aussi virevoltantes, assises par des compositions efficaces, prenant souvent des airs de classiques : Rufus Wrainwright s’inscrit dans la grande lignée des légendaires songwriters américains, de Hank Williams à Cole Porter. Poses est, pour Rufus Wrainwright, l’occasion d’abandonner un certain classicisme -assez brillamment maîtrisé- pour une tentative de mise au goût du jour, entre expérimentations, boucles sonores et métissages…

On pouvait récemment entendre Rufus Wrainwright chanter dans un français délicat, sur le quatre-titres offert avec le précédent album (Le Roy d’Ys et surtout Les Escaliers de la butte que l’on retrouve dans la bande originale de Moulin Rouge). Ici, sur Rebel prince, il donne à nouveau libre cours à ses tendances francophiles avec une assez belle chanson de résistance au suicide (« Où est mon maître/le prince rebelle/qui va fermer toutes ces fenêtres/ce sont ces fenêtres autour de moi/ce sont ces fenêtres qui m’appellent/Marigold… ») témoignant des turpitudes qu’il a connues ces derniers temps. Tentative de réconciliation ou hommage, Rufus Wrainwright reprend aussi le One man guy de son père et, avec lui, cette chanson prend une couleur homosexuelle inattendue pour un classique de country folk.

Mais, avec ces titres, on ne rend compte que du pittoresque. Car si l’album commence en grande pompe, avec Cigarettes and chocolate milk et Greek song aux somptueux enrobages orientalisants, il faut malheureusement reconnaître que les grandes réussites côtoient également un certain nombre de morceaux plus ternes. Sur California ou Shadows, l’art subtil de Rufus Wrainwright semble se mettre à tourner à vide, victime de formules moins heureuses. Ce sont, en définitive, les titres les plus mainstream, où il opte notamment pour un ton plus guilleret, qui affadissent le propos et cassent l’unité d’un album qui avait tout pour plaire au départ. Rufus Wrainwright confiait qu’il avait le désir de se rendre plus accessible au moment de concevoir Poses -et pourquoi pas ?- mais à défaut d’approcher le populaire, dans ce qu’il peut avoir de beau ou d’universel, il tombe dans le commun : Shadows passerait sans jurer avec le reste dans à peu près n’importe quel programme radio lambda.

Rufus Wrainwright n’est jamais aussi grandiose que sur des titres assez romantiques et enlevés, comme The Tower of learning ou Poses, où la voix et le piano, à eux seuls, assurent la majeure partie de la magie. L’album est victime d’une sorte d’effet tunnel, entre un début et une fin magistraux (Evil angel et In a graveyard figurent une des plus belles issues d’album), on a droit à une enfilade de chansons mal fagotées, trop pressées de séduire pour être honnêtes. Et soudain, les traits charmants de Rufus Wrainwright prennent l’allure de la grimace.