Sa participation à l’Incredible String Band, groupe culte de la musique folk britannique qu’il a fondé dans les années 1960 en compagnie de Clive Palmer et Mike Heron, a fait de Robin Williamson une légende vivante de la musique européenne d’aujourd’hui, même si sa présence phonographique et sa notoriété ne sont pas vraiment en rapport avec l’importance de son œuvre et, allons-y pour les grands mots, les dimensions de son génie. A cheval sur les traditions folk d’Irlande ou d’Ecosse et sur une foultitude d’inspirations venues des quatre coins de la planète, pays arabes et terres indiennes compris, l’Incredible String Band fait aujourd’hui figure de moment-clef dans la naissance de la musique world et, à l’époque, connut une gloire éphémère qui mena certains de ses albums (en particulier The Hangman’s Beautiful daughter) dans les hauteurs des classements de ventes d’albums en Angleterre. Le groupe se saborda au milieu des années 1970 et Williamson quitta son île natale pour la Californie, où il s’adonna notamment à la poésie tout en dirigeant un autre groupe, Merry Band.

Revenu en Grande-Bretagne dans les années 1980, il se spécialise dans la pratique de la harpe celtique et ressuscite les vieilles traditions orales dans une série d’albums autoproduits que publie, dans une relative confidentialité, son label Pigs Whisker Music. Manfred Eicher finit par lui donner les moyens d’accroître son audience en lui faisant enregistrer pour ECM The Seed-at-zero, bel album qui, hélas, ne connaîtra pas le succès qu’il méritait. S’ensuivit malgré tout le splendide Skirting up the river road, en 2002 : quinze songs dans lesquelles, avec une instrumentation d’apparence celtisante (d’apparence seulement, car la richesse des timbres et la diversité des inspirations se découvrait un peu plus à chaque écoute), le barde écossais mettait en musique des textes de Walt Whitman, William Blake et Henry Vaughan, quinze splendides moments poétiques qui oscillaient entre jazz, musique traditionnelle et improvisation, avec la voix incantatoire, légèrement éraillée et parfaitement envoûtante du leader comme fil conducteur.

Il retrouve ici deux des partenaires de ce précédent disque : le violoniste Mat Maneri et le poly-instrumentiste suédois Ale Möller, rejoints pour l’occasion par le bassiste Barre Philips. Williamson, outre ses propres poèmes, a cette fois-ci été chercher ses textes chez Thomas Wyatt (1503-1542), Ralph Wado Emerson, John Clare (1793-1864) et Walter Raleigh (1552-1618). Pour l’anecdote, l’album a été enregistré dans le grenier d’un moulin du XVIIIe siècle à Abergavenny, au fin fond du Pays de Galles (dans le livret, on trouve une photo de la soupente et de la pièce encombrée de câbles et d’instruments, avec l’énorme harpe de Williamson au premier plan, juste devant son possesseur avec son abondante chevelure grise de druide moderne). Dès les premiers instants, on est projeté dans un monde musical à la fois familier et indéfinissable, mélange de sonorités, de parfums et de couleurs celtiques traditionnelles d’un côté, d’audaces improvisatrices et d’ouvertures au monde de l’autre. Aussi bien les auditeurs venus du premier univers (celui du jazz et des musiques improvisées) que ceux venus du deuxième (celui de la musique traditionnelle) y trouveront donc leur compte tout en y étant surpris, l’ensemble étant une nouvelle résolument inclassable et puissamment poétique. On ne s’en lasse pas, pas plus qu’on ne se lassait de Skirting up the river road. Ne passez pas à côté.