Jasper Van’t Hof’s en pays zulu. Le pianiste allemand, après quatre années de tournées sud-africaines, découvre en octobre 1998 la face cachée d’une musique haute en couleurs, qui a su résister au temps et surtout à l’apartheid. Au Kwazulu, dans la province du Natal, se perpétuent avec grâce des chants ancestraux qui irradient de vie le quotidien miséreux d’un peuple qui a subi l’une des plus grosses tragédies de l’histoire. Fou de jazz au départ, Jasper n’en est pas alors à sa première surprise en terre africaine. En 1982 déjà, il s’était laissé séduire par une mosaïque sonore en Centrafrique, qui l’amena à multiplier les collaborations avec des artistes venus du Continent (Mali, Sénégal, Congo, Guinée, Ghana). Son groupe s’est d’ailleurs fondé un an plus tard à Londres sur ce principe de rencontre avec des cultures d’ailleurs. A l’époque, Jasper joue en formation avec le percussionniste guinéen Isaac Tagul. Pili pili, leur morceau fétiche (cent mille albums vendus, une performance pour l’époque), les lance sur le circuit de la world. Angélique Kidjo ainsi que d’autres pointures rencontreront leur destinée par la suite. Jasper n’est donc pas un novice du genre, lorsqu’il se laisse happer par le génie vocal du Phikelela Sakhula Zulu Choir, avec qui il a enregistré ce dernier opus.

Seulement, l’univers complexe de l’izicathamiya, tradition de chants a capella, très populaire au sein de la population de travailleurs sud-africains en milieu urbain, découvert au hasard des townships visités, le déstabilise dans ses obsessions de compositeur expérimental. L’histoire, la virtuosité instrumentale et l’aspect performance qui accompagnent cette musique l’inspirent au plus haut point. C’est ainsi que l’album Incwadi yothando a pris forme. Un peu comme une carte postale qui traduit le besoin chez cet artiste batave de bousculer ses habitudes et d’orienter sa création vers de nouveaux horizons. Pili pili, piment ou poivre d’après certaines langues bantu, formation bigarrée sans complexes au demeurant, s’enrichit donc de cette perspective d’échange épicée avec les voix du Philikelela Sakhula Zulu Choir, devenu complice déterminé du clavier Jasper pour la circonstance. En soi, l’album est une belle rencontre. Une dizaine de titres qui s’écoutent comme autant de pistes praticables pour tout mélomane désireux de s’introduire partiellement et sans effraction dans l’univers musical sud-africain. Il y eut certainement des expériences plus poussées en la matière. Mais la sincérité qui se dégage de celle-ci vaut bien le détour…