Surprise. Oh ! Surprise. On croyait tout connaître du style Dusapin. A 25 ans, c’était un compositeur ludique, nettoyant ses partitions de bien des tics d’écriture contemporains. L’expression de sa musique ? la transparence et la joie. Etait-il le premier musicien français à dépasser l’esprit –désespéré- de l’après-guerre ? Bien probable, lui qui, selon sa propre formule, fuyait la « musique Hiroshima ».

Patatras ! Vingt ans plus tard, il nous livre ses Requiem(s). Trois partitions d’inspiration spirituelle, voire religieuse. Trois messes des morts qui n’échappent pas au genre ultra serioso. Pourtant, Dusapin n’a rien perdu des techniques de dégraissage qui ont fait sa gloire et, si le ton a changé, l’émotion suscitée par ce disque reste intacte.

Granum Sinapis, la première des trois partitions, utilise un texte allemand du xive siècle (Maître Eckhart, un théologien rhénan, victime de l’inquisition). Dusapin « déstructure le texte et le met extraordinairement en valeur » écrit son interprète Laurence Equilbey. Il conserve huit extraits du poème, les confie à un chœur mixte a cappella. Huit épisodes traitant de la lumière de l’âme, du « merveilleux désert, au large, au loin, sans limite qui s’étend ». On pourrait chercher dans sa vie privée (le décès de sa mère en 1997 à qui l’œuvre est dédiée) les raisons d’un tel changement de ton. On retiendra la cohérence des expressions multiples, l’utilisation du temps -une notion clé chez Dusapin- et en particulier l’extrême lenteur d’exécution de certaines séquences. Le court Umbrae Mortis qui suit est dédié à son ami Francisco Guerrero, compositeur mort en 1997. Le développement étal du matériau sonore, son aspect chuchoté, laisse, là encore, une impression de sincérité évidente.
Enfin, on retrouve dans Dona Eis, le troisième volet de Requiem(s), Dusapin tel qu’en lui-même. Il réintègre le style maîtrisé dont il use depuis vingt-cinq ans. L’exploitation du texte, un mélange de français et de latin, nous renvoie aux techniques utilisées pour son opéra « to be sung » (1993). Voix dilatées, voix éclatées, soutenues par l’ensemble Ars Nova en grande forme.

Requiem(s) est présenté avec respect et intimité par l’ensemble Accentus. Décidément, voici LE chœur de chambre que Paris attendait. Sa maîtrise des techniques contemporaines du chant (bouches fermées, pratique de la microtonalité…) fascine. Cette trentaine de chanteurs a compris comment rendre la transparence, les couleurs, les attaques toujours plus souples de la musique de Dusapin. Laurence Equilbey obtient ce qu’elle veut : justesse, équilibre des registres, architecture globale. Ce disque est la preuve qu’à 45 ans, s’il a perdu sa joie, Pascal Dusapin n’a rien abandonné de sa transparence.

Ars Nova et Ensemble Accentus (dir. Laurence Equilbey)