Cinq ans après un remarquable Brooklyn eight, le discret Olivier Hutman a retrouvé quelques uns de ses partenaires familiers à l’Acoustic Recordings Studio de New York pour l’enregistrement de ce quatrième album en leader -sobriété phonographique pour le moins notable lorsque l’époque favorise plutôt l’inflation des produits de consommation courante et la prolixité à tout prix. On en sait de fait assez peu sur ce remarquable musicien de 48 ans, versé dans l’ethnologie musicale (il est l’auteur d’une thèse sur les « musiques urbaines au Ghana », réalisée sous la direction de Jean Rouch) et résolument jazzman depuis l’écoute initiatique d’un disque d’Oscar Peterson. Partenaire du percussionniste Mino Cinelu dans les années soixante-dix, avec qui il créera l’une des toutes premières formations jazz-rock hexagonales (« Chute libre »), accompagnateur recherché (Art Farmer, Philip Catherine, Eddy Louiss, Jimmy Gourley, Clifford Jordan ou Barney Wilen, avec qui il part en tournée au début des années 90), auteur de nombreuses musiques de film, Hutman ne rechigne au demeurant pas à mettre ses dons au service de la variété ou à partir à la découverte des musiques créoles et africaines. Une longue expérience qui, associée à un évident talent de compositeur et d’arrangeur et à un jeu vif et élégant, fait de lui un musicien complet et tout particulièrement précieux ; les huit compositions originales de ce Band shapes en formation élargie le confirment abondamment, s’il en était seulement besoin.

Bruce Cox (batterie) et Steve Sagle (flûte : « j’ai une prédilection pour cet instrument que j’emploie très souvent dans mes musiques de film, et l’alliage flûte / vibraphone crée une couleur orchestrale que j’affectionne tout particulièrement »), déjà présents sur le précédent album, sont ici rejoints par le vibraphoniste Tony Miceli, le trompettiste Joe Magnarelli, le tromboniste Larry Farrell et le contrebassiste Charles Fambrough. Denses, complexes, les morceaux suscitent d’abord l’intérêt pour des arrangements particulièrement soignés et l’originalité des mariages et couleurs sonores (notamment, donc, l’unisson flûte / vibraphone) ; ce sont ensuite les pièges syncopés (Peter mother pan, au tempo délibérément sinueux) et les rythmes non conventionnels (Booboo’s delight, en 5/4, ou encore l’alternance 3/4 – 4/4 de Edge of time) qui attirent l’oreille ; viennent, enfin, des chorus dynamiques et inspirés où chaque musicien trouve avec aisance le bon créneau. Dans les lignées conjuguées d’un Jamal (la tension permanente qui fait de cette heure de musique une expérience à la fois passionnante et, si tôt qu’on tend vraiment l’oreille, surprenante et exténuante) et d’un Hancock (couleurs, assemblages, chaleur, limpidité), Olivier Hutman réalise là -mais qui en aurait douté ?- un nouveau coup de maître.