Il est dificile de parler d’Odran Trümmel sans se gratter la nuque, perplexe. D’ailleurs, à lire ce qui s’écrit sur lui, une évidence s’impose : ce garçon n’est pas facile à placer dans une case. Alors on lui en a trouvé deux. À l’instar du Badly Drawn Boy de The Hour Of Bewilderbeast (et de cinq cent mille autres depuis), il est parfois considéré comme un énième succédané de Beck, sous prétexte qu’il s’agit d’un songwriter à guitare et un touche-à-tout adepte du DIY. D’hideux termes comme « foutraque », « baroque », « hyperactif » sont alors de mise. Ou bien, on le range dans la catégorie « folk », sans oublier de citer Nick Drake. Parfois, on va jusqu’à «  folk psyché », parce que ses disques sont un peu foufous et que « psyché » semble revenir à cette idée.

Bon, convenons-en : ce jeune premier (depuis dix ans déjà) pouvait sembler jusque là quelque peu instable. Frénétique, surtout, et perpétuellement guidé par son appétit pantagruélique pour les instruments de tout type : guitare et banjo, certes, mais komuz kazakh, cajón, psaltérion, et on en passe (Odran a aussi inventé le tube pop à la mandoline, avec « Rabid Dogs », issu de son précédent album, l’excellent Holy Phenomenon, en 2012). Sa gloutonnerie se porte également sur les genres musicaux, que Trümmel s’accapare les uns après les autres, souvent au sein d’un même morceau : dans « Rabid Dogs » se succédaient pop, rap et power pop seventies ; « Leonard Lizzard » lorgnait vers Zappa, « Little Princess » convoquait un Bert Jansch accompagné d’un big band jazz ; « Hazed & Abused » jouait quant à lui sur un jeu de guitare africanisant, soutenu par des percussions carnavalesques, et s’achevait sur une ballade des plus mélodiques.

C’est pourquoi on peut s’étonner de le retrouver, aujourd’hui, avec un album aussi cohérent qu’In A Jar, sorti sur le label tourangeau Another Records (qui a, par le passé, publié SZ, The Finkielkrauts, The Wedding Soundtrack, Frànçois and the Atlas Mountains, ou Gâtechien, entre autres). Trümmel avoue avoir consacré deux ans à ce quatrième album, entièrement acoustique, dont il a assuré l’essentiel de l’interprétation et de l’enregistrement dans son appartement londonien.

Pour le reste, il compte une fois de plus sur sa garde rapprochée, Andy Lévêque (basse, saxophone, chœurs) et Fabien Cherbonnet (guitare, percussions, chœurs et melodica), auxquels vient dorénavant s’ajouter Charlotte Giteau (guitare, chœurs et percus). Autour de la guitare sèche, plus centrale que jamais, on dénombre pléthore d’instruments (on ne se refait pas) : mandoline, banjo et charango, mais aussi viole de gambe, en plus du violon, du violoncelle, et du piano. On pourrait redouter l’indigestion, mais il n’en est rien : le charme d’In A Jar se situe justement dans le dosage, précis et juste, d’ingrédients aussi nombreux que divers, liés par une cuisson à feux doux.

Alors que Holy Phenomenon exposait sa richesse stylistique et ses effets de manche avec une générosité toute pornographique, In A Jar, les dissimule sous un voile sonore plus uni, plus serein aussi. L’abandon de la batterie, son instrument de prédilection (et son défouloir), a le même effet sur Odran Trümmel qu’une dose de dextrométamphétamine sur un gosse hyperactif : un regain de concentration. Les chansons sont à la fois plus resserrées et plus aérées, et les influences plus discrètes ou moins nombreuses : aux figures tutélaires de Bert Jansch et John Renbourn s’ajoute celle, plus récente, de Ryan Francesconi, l’orfèvre qui accompagne Joanna Newsom. Le jeu de guitare de Trümmel gagne ainsi en finesse, ce que souligne joliment la production acoustique, notamment sur l’instrumental(e) « Sparkling Water ». Bref, sur ce disque, l’ex-tourangeau a accompli un salutaire travail d’élagage, dont résulte des morceaux de pop élégante, comme les formidables « Unbreakable » et « Blurry Mind ».

Il en résulte un album fourmillant d’idées, qui ne s’éparpillent jamais et restent toujours au service de la chanson. Odran Trümmel accomplit ce que son impatience juvénile lui interdisait jusque là : il ménage ses effets. Le temps du patchwork est révolu : les différentes parties de ses nouvelles chansons fonctionnent comme étapes successives d’un même récit. Plein de maîtrise et de justesse, In A Jar est tout simplement un beau disque.

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