On nous l’a répété jusqu’à plus soif depuis quelques années : l’époque est au néo-primitivisme. Et voilà que cette musique (en gros : le coeur de ce qui se produit à Brooklyn, sous l’impulsion d’Animal Collective, Black Dice, Gang Gang Dance) donne des signes d’essoufflement. Va-t-elle se réduire à sa copie carbone, des cris de singe passés dans des pédales de delay et nappés de guitares wah wah, avec des artworks destinés à repousser les frontières du moche ? Le sort des hipsters de la planète est suspendu à cette question.

Pour un « Kamakura », quinze sublimes minutes revenues de tout, on trouve désormais des Mirror eye ou des NYMPH à la pelle. Pas des disques mauvais en soi, mais des disques dont ne sortent nulle excitation, aucun frisson d’inconnu, et qui pataugent dans leur indifférence triste avec l’approbation molle de la critique : on ne compte plus les clones d’Animal Collective censés donner envie de danser à poil autour d’un feu de camp en psalmodiant des hymnes au soleil, ce genre de leitmotive assommants. Tout cela a vécu. A force de débiter comme du saucisson ses atours féroces et badass, le néo-primitivisme « à la Brooklyn » court le risque de se figer dans le moule pataud de la production en série, tandis que ceux qui continuent de défricher sont probablement déjà ailleurs.

Dans ce contexte de prévisible gueule de bois, on cherche ailleurs le sang neuf et les lieux où pourrait se réinventer ce cœur qui, il n’y a pas si longtemps encore, pulsait vite et fort. Difficile de mettre la main sur un nouveau centre, malgré nos efforts de vigilance, mais on sait au moins que NLF3 est une force active du paysage psyché-quelque-chose, option tribalisme. En 2008, Echotropic marquait, en quatre titres parfaits, un bond en avant en terme de puissance et d’ébullition musicales. Toutes les références brandies en avant comme des étendards (Fela, Sonic Youth, This Heat, Can, Neu!, Faust, White Noise, Coltrane, Ayler, Tortoise, le Velvet) s’y rassemblaient en une synthèse idéale et le disque avançait, souverain, sur le fil du rasoir qui sépare évidence mélodique et jouissance du bruit.

Ce cinquième album accélère un peu plus encore les efforts de synthèse du groupe et, sans rien épurer (l’esprit est plutôt à l’accumulation et au bric-à-brac), le trio condense beaucoup et se plie entièrement à l’exigence de concision de la forme pop. Précision, densité, vitesse en sont les maîtres mots. A cet égard, Wild chants, le titre d’ouverture, fait office de miracle de poche, et tient ses chœurs en équilibre parfait entre borborygmes pseudo-primitifs et harmonies vocales dans la plus pure tradition sixties. Plus économe que Ride on a brand new time, Beautiful is the way to the world beyond découvre une formule à laquelle il n’y a rien à retrancher ni ajouter. Précision des timbres et des textures (Shine shine shine), brutalité rythmique (At full blast) alliée à la délicatesse des percussions (Cerf volant), complexité de l’instrumentation et du feuilleté des motifs (Shadows my friends), grands déchirements de la matière sonore par l’électricité (Enneagon), cette formule accomplit un court-circuit impétueux entre muscle et cerveau. Il en résulte un disque court, zébré de fulgurances, dont l’ambition ne loge pas dans l’ampleur de la forme mais dans sa capacité à frapper droit au coeur avec vitesse, évidence et sophistication à la fois. Bref, et contre toute attente, un pur rêve de pop music.

A quoi tient, au fond, la sauvagerie de NLF3 ? A pas grand-chose, quelques signes tout au plus : hululements mystiques, bruits louches, martèlements de toms. Suiveurs de tendances alors ? Non, c’est plutôt que leur tribalisme est une vue de l’esprit, un programme pour mettre en déroute les clichés lourdingues du métissage. Moins tranchante, moins hirsute que l’américaine, ce n’est plus la sauvagerie telle qu’inventée à Brooklyn (cette rencontre critique d’un fantasme d’art brut et de la technologie musicale du vingt-et-unième siècle), c’est autre chose encore et c’est bien plus simple : des hymnes subsoniques réglés comme du papier à musique, dans lequel la spontanéité et le goût du bricolage viennent foutre un joyeux bordel.