Enregistré à Brooklyn, au coeur de l’hiver 2008, et achevé alors que commençaient à poindre les prémices du printemps, Choral offre à celui qui l’écoute une expérience riche et unique. Si la musique de Mountains est souvent qualifiée d’« ambient », le terme est réducteur, et l’image de musique d’ascenseur ou, au mieux, d’aéroport (cf. le séminal Ambient 1. Music for airports de Brian Eno, 1978) qui colle au genre est loin de refléter la richesse des expérimentations du duo new-yorkais. Brendon Anderegg et Koen Holtkamp se sont rencontrés sur les bancs de l’école et, loin de se contenter de suivre la voie ouverte par l’ambient d’Eno, ils n’ont cessé depuis de parcourir des paysages sonores immenses, sautant des pics abrupts du noise aux vallées fertiles de la folk américaine (Map table), en passant par la croisée des drones hypnotiques de Phill Niblock et des boucles entêtantes de Steve Reich (Choral).

Capté live ou presque, Choral est le reflet des escapades fantasmées des deux amis dans ces paysages sonores accidentés. Tout au long des six pièces de l’album, Brendon Anderegg et Koen Holtkamp brossent à petites touches des paysages embrumés, sculptant patiemment la masse sonore en ne cessant d’y introduire et d’y faire évoluer presque imperceptiblement de nouvelles sonorités. Des instruments acoustiques (accordéon, guitare) y côtoient des synthétiseurs et des incursions électroniques sous-tendus par d’évocateurs field recordings (une tempête qui se lève en Arizona dans Telescope, les pages d’un livre feuilleté évoquant les craquements d’un feu de camp en Alaska dans Map table). L’ensemble plonge l’auditeur dans un état méditatif où il renonce à saisir et à détacher les innombrables superpositions instrumentales, mais où il embrasse la totalité de la masse sonore et où son imagination se libère.

Si je devais me prêter au jeu de la comparaison, ce n’est pas de la musique de Brian Eno que je rapprocherais celle de Mountains, mais de celle de Debussy. Choral n’a peu en commun avec la froideur majestueuse de l’ambient du musicien britannique ; mutatis mutandis, il est aussi chaleureux, foisonnant et mystérieux que le Prélude à l’après-midi d’un faune (1894) du compositeur impressionniste français. Tout y est fait pour exacerber la subjectivité de l’écoute : l’association d’instruments acoustiques au timbre riche et de nappes de cordes synthétiques (Choral) fait naître une multitude d’harmoniques miroitantes, voix angéliques dont on ne sait jamais très bien si elles sont réelles ou fantasmées. L’étirement des pièces dans le temps (Choral et Melodica se déploient sur de plus de douze minutes) et l’usage constant de procédés de répétition font peu à peu perdre la notion de durée. La grande liberté des structures et du langage harmonique, enfin, évoquent l’avant-gardisme à l’atmosphère paisible et mystérieuse d’In a landscape (1948) de John Cage : la répétition obstinée de formules simples, gracieuses autant qu’étranges, ne laisse plus transparaître que des réminiscences de tonalité, et appelle la création d’un nouveau langage musical.