Au mois d’août 1999, s’éteignait sur une scène en Italie l’un des musiciens qui nous aient le plus surpris et passionnés durant cette décennie. Mark Sandman s’en allait rejoindre Kurt Cobain, Jeff Buckley et quelques autres au royaume des musiciens partis trop tôt, beaucoup trop tôt. Chez Mark Sandman, c’est le cœur qui a lâchement lâché… Difficile de croire à cette nouvelle pour qui avait côtoyé cet homme si chaleureux, si plein de vie, d’humour et de tendresse, d’attention pour qui était reçu dans son monde musical. Difficile d’accepter ensuite que l’art de ce trio ne puisse pas se propager un peu plus loin, se prolonger un peu plus haut que les quatre albums (plus une compilation : une production quasi identique à celle de Nirvana) que le groupe avait sortis de son vivant. D’abord en import chez Rikodisc, puis, ensuite, distribués en grande pompe tandis que le groupe connaissait en France une notoriété rarement atteinte pour des tenants d’une musique si originale et si indépendante des moindres fluctuations du « marché ».

Ainsi, lentement mais sûrement, le trio prenait une telle importance que Mark Sandman à la basse à deux cordes jouées en slide, Billy Conway à la batterie jazz et Dana Colley aux saxophones baryton écumaient tout ce que ce pays connaît de salles afin de faire profiter la jeunesse française d’influences et de vibrations bénéfiques. Et invariablement, à la fin de chaque concert, Dana Colley rassemblait le public au centre de son objectif. Et, dans un grand remerciement, fixait pour l’éternité les fans dans un éclair de flash qui ravissait tout le monde.

The Night, album posthume sur lequel travaillait Mark Sandman quand il fut emporté, rassemble quelques-uns des titres que les fans connaissaient grâce à une interprétation faite durant ces fameux concerts. So many ways, Souvenir ou Top floor, Bottom buzzer, par exemple, ne sont pas étrangers à nos oreilles. En revanche, ainsi que le faisait pressentir Like swimming (paru en 1997), Mark Sandman faisait évoluer sa musique (il écrivait texte et musique de toutes les chansons du groupe) vers quelque chose de moins figé que ce que Yes (en 1995, le moins réussi des albums de Morphine) avait pu laisser croire. La « formule » d’une rythmique syncopée sur coulis de basse slidée et de riffs de sax assassins avait vu son aboutissement pour partir dans des directions beaucoup plus fines, plus jazz encore, plus travaillées dans les arrangements. Un orgue par-ci, une guitare acoustique par-là (Rope on fire aux subtiles sonorités arabisantes), un piano qui survient et s’éteint comme il était apparu, quelques sons électroniques, des clics, des clacs (Like a miror), des chants et des contrechants, quelques harmonies vocales (Top floor, Bottom buzzer justement) ou un harmoniseur (A good woman is hard to find). Toutes choses que l’on retrouve sur The Night, au long des onze morceaux parfaits dans leur diversité au sujet desquels on ne regrette qu’une chose : qu’ils soient définitivement les derniers de ce merveilleux compositeur.