Idéal pour les freestyles des Mc’s en manque d’amour, Special herbs Vol. 4, 5, 6, ravira en premier lieu les fans de l’auteur du déjà mythique Operation doomsday. Avec la suite de ses aventures sous l’alias Metal Fingers, MF Doom persiste à nous balancer ses rythmes épicés. Sur la carte de cette galette débordante, le chef Dumile nous tend des beats et autre instrumentaux bien chauds. Il balance ici ses loops funky (Blood root) et autres (break)breaks excités (Dragon’s blood), qui harponnent leur alvéoles sur des ruches de bande originales de films âgés (Star anis), de soul déformée (Patchouly leaves), de données gluantes et autres synthés anales et illogiques (vintage mode). 21 beats plutôt sereins, parfaits pour attendre la version définitive de son prochain opus, réalisé en collaboration avec son pote Madlib. Les collectionneurs des séries Metal fingers apprécieront…

Pour les autres, les backpackers en soif de flow, ils n’ont qu’à se ruer sur le Vaudeville villain. Un album fécond, de A à Z, qui propose à l’auditeur de rentrer dans le cosmos insolite de Viktor Vaughn, savant schismatique qui a perdu une partie de sa raison, pour la troquer contre une inventivité incongrue, dont le phrasé est la charnière jubilatoire. Du Zimbabwe en passant par New York, Vaughn paralyse ses idées pour les foutre sur wax… Epaulé par une brochette de producteurs éparses (on croise RJD2 qui passe la main à Max Bill, King Honey qui boit que champagne avec Heat Sensor), Vaughn et sa galette se dispersent de façon très lisse, passant d’ambiances sombres (Open mic night part II feat Lord Sear & Creature) à des atmosphères souples (duo sexuellement troublé sur le trip love Apany B. Fly vs MF avec Let me watch), en tirant également pour des terrains gorgés de hargne positive (projectiles largués avec Vaudeville villain et Lickupon)… Quelques écarts agréables lorgnent aussi vers du Prefuse 73 (les deux hommes se connaissent pour avoir collaboré plusieurs fois, notamment sur un des premiers opus de Scott Herren : Vocal studies + Uprock narratives) comme sur le track Raedawn, où l’on jurerait entendre une des dernières livraisons de chez Warp. Un titre que l’on peut d’ailleurs trouver en 7 inch, avec en face B le sublime Change the beat, caché ici en bonus track en fin d’album (après la pluie, après l’orage…). Un Change the beat déroutant, qui porte bien son nom, puisque MF y spécule avec les rythmiques en faisant flagorner son flow en toutes circonstances, sur des mélodies ou des BPMs animés. Bouillant.

Nous sommes en 2003, loin de Mr Hood et de Black bastards de KMD. On se souvient de l’ancien groupe de MF, celui qu’il partageait avec son frère Sub Roc. Mais pourtant, les années 2000 restent toujours aussi peuplées et captivantes chez Doom. Il multiplie habilement les projets et les brumes hip-hop savoureux, qui font de lui un des empereurs d’un rap atypique, dont les boucles sont cisaillées au cutter, soignées et recoupées, pour mieux se faire culbuter par le flow. Doom est partout, il crache le feu avec Ill Bill, pose ses jalons en Europe avec Big Dada (écoutez son Take me to your leader sur Big Dada, sorti il y a quelques mois sous l’alias Geedorah…), continue de larguer des bootlegs et autres featurings dans les sphères les plus intéressantes d’un hip-hop déviant. Doom est Viktor Vaughn, Metal Fingers, King Geedorah… Doom se dilate, avec prestance. On se retrouve d’ailleurs avec des prix exorbitants (sur E-Bay) sur ses premiers 12 inch, ceux tirés à 600 copies limitées. MF reste à un niveau très élevé, réussit à planter des punchlines acerbes et un flow décalé, en nous étourdissant de ses souvenirs copieux, qui, mêlés à la fiction, se confondent parfaitement dans les clappement de beats et de samples sortis tout droit d’une manufacture fiévreuse. Longue vie à MF Doom.