Il y a toujours une sorte de jubilation un peu gamine à la découverte d’un nouvel album de Marcus Miller, même si l’on se doute qu’on n’y trouvera pas forcément que du tout bon : impossible de ne pas éprouver le frisson anticipé du slap viril et carré qui est sa marque de fabrique, de ne pas avoir la certitude d’une production léchée au millième de millimètre, de ne pas attendre malgré soi quelques morceaux de bravoure virtuoses qui nous renvoient bêtement à nos joies musiciennes d’adolescents fascinés par les délires techniques des patrons du jazz-rock ou du funk. De ce point de vue, Silver rain ne décevra personne : basse à tomber par terre, perfection absolue de la mise en boîte, répertoire éclectique au possible, incursions du côté du R&B, de la soul et du rock, tous les ingrédients attendus sont réunis. Reste qu’après la joie inaugurale et le plaisir des premiers slaps, on finit toujours par redescendre sur terre et par écouter la chose d’une oreille un peu plus froide : là, la perplexité s’installe. Perplexité face au manque d’unité de l’album, d’abord : si certaines plages méritent leur place dans la discothèque du jazzfan, d’autres semblent davantage destinées à nourrir le flux indifférencié des radios FM (Joey Kibble, de Take 6, Lalah Hathaway et surtout Macy Gray mettent à ce titre un peu de non-piment dispensable dans la sauce) ; perplexité face au côté interminable de la galette, ensuite (quinze pistes, l’impression d’un disque à rallonge dans lequel Marcus Miller n’a pas su faire de choix) ; perplexité face au goût douteux de certains morceaux, enfin, à l’image de cette reprise gospel bizarroïde et sirupeuse de la Sonate au clair de Lune, pleine de nappes de synthétiseur sucrées à souhait (« Le jazz a la force de pouvoir s’accommoder à peu près de tout, affirme Marcus Miller ; la preuve étant que j’ai Power of soul de Jimi Hendrix sur le même album que Moonlight sonata de Beethoven, et le résultat est plutôt cool, non ? ». Euh…). Côté partitions, on trouvera sept compositions originales inégales et huit reprises bien choisies (Boogie on reggae man de Stevie Wonder, une chanson, dit Miller, qui a « une des parties de basse les plus incroyables que j’ai jamais entendu » ; Girls and boys de Prince ; Frankenstein d’Edgar Winter, pour ne citer que celles-là) ; côté casting, Miller a recruté ses compagnons de jeu habituels et fait venir une flopée d’invités (Kenny Garrett au saxophone, Dean Brown aux guitares, Poogie Bell aux percussions, mais aussi Lucky Peterson, le Dj Mocean Worker ou l’harmoniciste suisse Grégoire Maret). Résultat : une foire musicale où l’on sautera volontiers quelques pistes, où l’on regrettera sans doute certains choix et où l’on soupirera de temps à autre devant une concession superflue à l’air du temps, foire que Miller couronne, « spécialement pour l’Europe », d’un petit solo à la clarinette basse. A boire et à manger, donc, mais que ne ferait-on pas pour dix secondes de la basse slapée par le maître américain…