Magnifiquement précédé d’un single groovy/world, Easy girls, qui en dit long, musicalement parlant, sur l’évolution du groupe depuis Zig zague en 1994, Trabendo se révèle être sans aucun doute le meilleur des six albums des Négresses Vertes en plus de dix ans de carrière discographique. Depuis 1991 et leur tube, Sous le soleil de Bodega, après le succès international de Zobi la mouche et Voilà l’été, les Négresses Vertes ont une réputation de groupe rigolo aux rythmes latinos, au chant ensoleillé et aux couleurs cuivrées de trompette et trombone. Seulement, le groupe a subi la perte précipitée de son leader Elno et a fait le choix de rester silencieux depuis Zig zague au succès mitigé parce qu’au contenu un tantinet en deçà de ce que l’on attendait de lui. Deux ans d’attente avant que les Négresses débarquent à nouveaux pour nous offrir le double album live Green bus en 1996, sorte de somme de leur travail avec le folklore scénique qui allait avec.

Aujourd’hui, Mellino, Canavese, Ochowiak, Iza et Paulus nous reviennent avec une nouvelle direction musicale, de nouvelles couleurs sonores et une autre maturité dans les textes. Moins de franches rigolades au profit d’une profondeur déjà présente sur Zig zague. Et surtout, une nouvelle manière de travailler : en laissant la musique en suspens avant d’entrer en studio -c’est-à-dire avec des morceaux ouverts à toute possibilité musicale comme ils l’avaient fait sur les 10 Remixes en 1993-, les Négresses Vertes se sont laissées porter par un plus important travail d’habillage de leurs chansons. Plus difficile peut-être mais sûrement plus passionnant et enrichissant pour eux comme pour nous. D’autant qu’un des nouveaux rois de la production chic était aux côtés du collectif pour mettre en son les compositions retenues pour ce (seulement) quatrième album studio. Effectivement, grâce à leur reconnaissance dans les pays anglo-saxons, les Négresses n’ont sans doute pas eu de difficulté à motiver Howie B. afin qu’il vienne les épauler dans la mise à plat de leurs maquettes.

Ainsi réuni autour de la console, l’ensemble, qui co-signe la totalité des textes et musiques, a mis le paquet. Tout fonctionne à merveille. L’acoustique chère au groupe (guitares, trompettes bouchées faisant leur apparition dès l’ouverture) est remarquablement mariée à l’électronique du producteur écossais (sons caverneux, lourds sur rythmiques techno drum’n’bass).
On entre donc en Trabendo comme en territoire inconnu (sons passés à l’envers sur rythmiques groovy et trompettes bouchées) malgré la voix de Mellino. C’est seulement le refrain Leïla, Leïla, qui nous renvoie au monde si caractéristique du groupe. On va plus loin avec Les Mégots, au texte magnifique et au riff de cuivres sur fond drum’n’bass. Envie de danser mais aussi d’écouter les paroles surréalistes chantées par un doux filet de voix. L’expérience se renouvelle un peu plus loin avec Chien des ports, Howie B. ne laissant les Négresses dans leur monde méditerranéen que pour la mélancolique Hasta liegar.

Mais tout ceci n’est rien comparé à la beauté des presque neuf minutes sur lesquelles s’étend le superbe Ce pays. Texte considéré du point de vue de l’étranger qui arrive d’un long voyage et musique, en retrait d’abord, qui rend hommage à la quête de ce déraciné. Gros travail de production, le morceau paraît complètement nu, dépouillé. Il grouille en fait de mille sons tous plus beaux les uns que les autres. Ignacius, tout en crescendo concret, Route 99 avec ses cordes en mode mineur et Les Années sans lumière sont de la même trempe.
Trabendo apparaît donc comme une nouvelle direction pour Les Négresses Vertes. Ouverture, expérimentation et maîtrise du sujet, on n’attend plus que quelques fous des remixes nous jettent un regard toujours plus différent sur ces petites perles.