James Murphy a toujours entretenu une relation paradoxale, trop lucide et pleine de culpabilité protestante avec la face hédoniste de sa musique. Déjà à l’époque du saisissant et souffreteux Losing my edge, il était question de la condition du mélomane désespéré d’être né trop tard, et en dépit d’un brin de voix de moins en moins embarrassé de ressembler à celui de Bono, Murphy n’a jamais vraiment arrêté de grimacer. Dans la mesure où l’on était prévenu que ce troisième album de LCD Soundsystem serait le dernier, on savait cette fois à l’avance que l’on y danserait d’un pas hésitant, en regardant souvent derrière notre épaule (« The worst happens every night », Murphy nous annonce-t-il dès la première minute de Dance yrself clean). Pas avare en paradoxe, l’Américain a pourtant travaillé dur pour nous faire croire à son album le plus naturaliste, le plus frontal et le moins élaboré : la plupart des morceaux affichent des durées indécentes au compteur (entre 8 et 9 minutes), le mixage monacal délaisse les méchantes automations pour des montagnes russes dynamiques et un premier plan bourré à craquer des textures abrasives du mythique synthé anglais VCS3, et le tracklisting semble moins artificiellement éclectique que sur LCD Soundsystem et Sound of silver.

Sur le papier, tout était donc rassemblé pour faire de This is happening l’album ultime de LCD Soundsystem, le groupe des épousailles de la dance et de l’indie. Mais si, les calques maniaques de Bowie / Eno mis à part, chaque seconde de l’album exsude de classe et de bon goût, si quelques morceaux affolent sans provoquer d’états d’âme (notre préférence va sans hésitation au technoïde et dégondé One touch) quelque chose cloche aussi tout le temps à l’horizon. En abandonnant corps et âme son idéal de groupe à son premier propos, en emmenant enfin ses montées de sang à leur conclusion, Murphy remplit pour la première fois intégralement son contrat mais oublie les anomalies qui faisaient son piment contradictoire, à l’instar de Someone great ou Never as tired as when I’m waking up sur ses deux premiers albums. Ainsi, si la musique est souvent excellente, on prend bizarrement plus de plaisir à écouter Murphy se faire violence pour surmonter son intelligence (pour la dernière fois, vraiment ?) qu’à suivre le mouvement de la partouze.