Second pas en leader d’un musicien dont on n’attendait de toutes façons pas de confirmation, eu égard à ses brillants états de service et aux commentaires qu’inspira en son temps le remarquable Enemies of energy : Kurt Rosenwinkel s’affirme, marche de l’avant et piège délicatement les conventions dont il ne garde plus que les atours, traçant sa voie entre le classicisme bon teint d’un straight jazz où il excelle et les joyeuses perversions de ses lubies personnelles. Membre émérite de l’Electric Bebop Band de Paul Motian, pilier du club new-yorkais Smalls, où son trio, avec Ben Street (contrebasse) et Jeff Ballard (batterie), fit ses premières armes en 1992, le natif de Philadelphie s’adjoint le saxophone de Mark Turner deux ans plus tard et engage le long travail dont on entend aujourd’hui les derniers fruits après plusieurs années de scène. La remarquable longévité du groupe constituera s’il le faut l’indice de la maturité atteinte et des étapes franchies par le guitariste, qui trouve avec The Next step un admirable aboutissement. La qualité de l’écriture, volontiers torturée ou alambiquée mais contrebalancée par la chaleur du son et de l’interprétation, tient sans doute pour partie aux étranges audaces des moments de doute ; désabusé vis-à-vis d’une six-cordes qu’il ne connaît que trop, enfermée dans les automatismes de discours récurrents et conscient de l’obstacle technique, il prend le parti de désaccorder son instrument, effaçant d’un tour de clef quelques années de pratique et d’écoute attentive. L’imprévisible devient de règle, l’inédit reprend le dessus et le compositeur la plume : Zhivago, duo saxophone / guitare mélodieux précédé d’une gaillarde introduction up-tempo, ou A Life unfolds, tout entier fondé sur les enchaînements harmoniques générés par ses improvisations désaccordées, illustrent un renouveau créatif aux modalités curieuses mais indéniablement séduisant. L’enthousiasme et l’unité de ce remarquable quartet, au-delà de l’idiosyncrasie de son leader, est manifeste dans la qualité de la paire rythmique, galopante et euphorisante, comme dans l’entente évidente de Rosenwinkel et Turner. Neuve sans outrance, vive sans excès, cette musique-là s’accommode d’un vocabulaire classique que les quatre hommes savent aussi accommoder pour eux lorsqu’il le faut ; soit un admirable disque de jazz, fait et à faire.

Kurt Rosenwinkel (g, p), Mark Turner (ts), Ben Street (b), Jeff Ballard (dms). Enregistré du 12 au 14 mai 2000 à New York.