Le temps où Kenny Garrett, alors incandescent et énergique, faisait chavirer la Pinède Gould de Juan les Pins, laquelle reprenait en chœur le thème d’une composition bien tournée (quelques semaines avant la sortie de Pursuance : the music of John Coltrane) semble s’éloigner. Conseillé, peut-être, par le Marcus Miller des mauvais jours (le bassiste joue sur 3 morceaux de l’album ; pour le reste, c’est le fidèle Nat Reeves qui tient la contrebasse : sa participation active aux succès passés de K.G. nous invite à lui épargner l’imputation de la responsabilité du désastre), l’altiste s’engage ici dans une voie curieusement consensuelle, dont jamais on n’aurait pensé qu’il l’emprunterait un jour : le mauvais goût l’y dispute à la facilité, que ce soit du côté d’un funk allégé dont même le trio de John Medeski serait incapable (G.T.D.S., en ouverture), ou de ballades sans âme (le grotesque Words can’t express, duo saxophone et piano au romantisme de sitcom, sorti de l’imagination du pianiste et organiste Shedrick Mitchell) qui en disent long sur le désespoir créatif du dernier souffleur de Miles Davis. On en vient presque à se demander si, emporté par l’attrait de la nouveauté, Garrett n’a pas hésité, sur certains titres, à remplacer le batteur Chris Dave (génialement quelconque, au demeurant : une présence de fantôme couplée à un groove qui n’a rien d’un esprit frappeur) par une boîte à rythmes dégoulinante de smooth jazz -Marcus, toujours bien équipé, aurait pu lui en prêter une sans trop de problèmes.
Il est quand même curieux que Shedrick Mitchell arrive, par un ascendant psychologique sans doute bien maîtrisé, à déteindre à ce point sur le saxophoniste, enfoncé jusqu’aux narines dans l’ineptie de ce renouveau artistique bien malvenu, tant et si bien qu’il en perd sa respiration ; Pat Metheny y perd aussi son latin, venu on ne sait trop pourquoi prêter main forte à la rythmique sur deux morceaux.

Quelques minutes durant, lors du développement du thème Organized colors puis, surtout, tout au long d’un 3rd quadrant (où la fine équipe des débuts est partiellement mais avantageusement remplacée par Jeff Watts (dm) et Mulgrew Miller (p)), on retrouve le saxophoniste vivifiant et explosif qu’on connaissait, phrasant comme s’il marchait sur des braises au-dessus de l’accompagnement touffu et roboratif de ses accolytes : quelques minutes de résurrection avant de s’engluer à nouveau, comme il se doit, dans le marais consternant du dernier titre, éponyme. On l’aimait bien, Kenny Garrett.

Kenny Garrett (as, ss, sopranino), Shedrick Mitchell (p, org), Nat Reeves (b), Chris Dave (dm), Jeff Watts (dm on 10), Pat Metheny (g, elg on 7 & 11), Marcus Miller (elb on 1, 7 & 11), Bashiri Johnson (perc), Mulgrew Miller (p on 10), Raymond Harris (voc)
Enregistré à New York (date non précisée)