Philippe Katerine est une figure essentielle de la chanson française. Que les magazines aient attendus son cinquième album pour lui offrir leurs couvertures témoigne du singulier malentendu qui entoure cet artiste, un des plus importants songwriter à la française depuis Gainsbourg. Cette incompréhension tient peut-être au fait que Katerine a toujours été réticent à jouer le jeu médiatique et a expliquer son oeuvre, serait-ce « à un chien », et parce qu’il s’est longtemps trouvé prisonnier du carcan de l’école « bêbête » dont l’ont affublé un peu trop tôt les journalistes. Combien d’amateurs de belle musique sont passés à côté de ses trois premiers albums (Les Mariages chinois, L’Education anglaise, Les Mauvaises fréquentations) pour les avoir mal écoutés, croyant entendre fausse naïveté easy-listening là où s’ouvraient des abysses de pop métaphysique, à la droite de Brian Wilson et de Carlos Jobim.

Il aura fallu attendre le double album Les Créatures/L’Hommme à trois mains pour que Katerine devienne fréquentable par l’intelligentsia pop underground. Parce qu’il y est expérimental (associé au groupe jazz The Recyclers) et parce que la fêlure existentielle qui transparaissait magiquement de tous ses précédents opus trouve là son expression la plus visible, à la limite de l’obscénité (plus ou moins revendiquée : la pochette le montre dénudé). Après cette radicale mise au point introspective, accompagnant la défection du public à frange Tricatel en même temps qu’une nouvelle crédibilité, on se demandait un peu comment Katerine allait poursuivre sa carrière de musicien, quelles directions un tel jalon personnel pouvait ouvrir, s’il ne fermait pas toutes perspectives. La réponse s’appelle 8eme ciel, disque de dépassement, qu’on comparera peut-être aux Mauvaises fréquentations, comme le « travail » succédant à une révélation.

8eme ciel poursuit et approfondit en un certain sens la brèche ouverte par Les Créatures. Musicalement d’abord : le travail de production est époustouflant, la collaboration avec les Recyclers se surpassant, atteignant un niveau d’inventivité qui n’a rien de comparable dans la pop française (à l’étranger, on pourra évoquer le Midnite vultures de Beck, dans cette même profusion baroque de l’arrangement). Il y a dix mille idées par morceaux et les seize titres de ce long album sont suffisamment variés et surprenants pour s’écouter sans problème à la suite, du très harrisonnien 8eme ciel à l’électronique Au jardin métallique. Thématiquement ensuite : les textes de ce nouvel album renvoient aux obsessions courantes du chanteur : la religion, les jardins, la mort, et une manière bien à lui de confronter ses rêves et la réalité (après le Barbecue à l’Elysée -l’Elysée au sens mythique du terme-, il rentre chez lui, « faire caca » ; il s’imagine en 2010 chantant « mort à la poésie ! »), le tout naviguant entre onirisme romantique (le magnifique Où je vais la nuit) et introspection mystique (Sainte vierge). Katerine reconduit également le « suicide commercial » entamé sur le disque précédent, avec deux chansons au milieu de l’album, sortes de faux live dans un faux cirque ou faux cabaret, chantées de voix de fausset fou par « Général Fifrelin » et « Boulette ». Parfois à la limite de l’auto parodie, ou lorgnant vers le tube populaire Pop star/Universal (Des étoiles, Inutile), Katerine sait cependant encore écrire des standards suaves à l’ancienne manière, tout en les mâtinant de sa nouvelle schizophrénie. Il offre donc ici ce qu’on serait tenté de considérer comme un album de transition, poursuivant les acquis des précédentes réalisation, mais un album quand même dix mille pieds au dessus du lot commun de la chanson française. Quelque part au huitième ciel.