Mozart, encore Mozart ! Beethoven c’est sûr, Bach peut-être… Voilà les compositeurs les plus fêtés, les plus enregistrés, ceux que le public réclame. Mais faut-il ne lui offrir que ce qu’il réclame ? Il y a trente ans, des interprètes curieux sont partis explorer le répertoire ancien. Lully, Couperin ou Rameau ont vite retrouvé les salles de concert. Les mélomanes se sont pris d’affection pour Marin Marais et Sainte-Colombe. A quand Delalande, Michel Lambert, François Devienne… ? On cherche du neuf, et les divas, telle Cecilia Bartoli pour son dernier opus (The Vivaldi album), fréquentent les bibliothèques et exhument des incunables. Las de revisiter sans cesse les fonds de tiroirs du répertoire baroque (reste-t-il quelque musique comestible ?), quelques musiciens appliquent ces principes de curiosité plus près de nous, dans la redécouverte de compositeurs classiques ignorés (la génération « pianoforte »), compagnons d’arme de Mozart et Beethoven. Les œuvres de Salieri, Clementi, Cimarosa, Viotti, Balbastre… tout récemment le chevalier de Saint-Georges sont dans les bacs. Laure Colladant, depuis 1993, joue et enregistre Joseph Woelfl. Jusqu’alors, Woelfl était inscrit aux abonnés absents. Pas un dico francophone pour lui rendre hommage. En poussant la curiosité, on retrouve bien, grâce à l’incontournable Robbins-Landon, l’existence d’un certain Joseph Wolf, médecin d’Olmütz, père d’une charmante soprano pour qui Mozart aurait composé un aria (partition aujourd’hui perdue !). Fausse piste.

Ainsi doit-on croire sur parole Marc Vignal, spécialiste reconnu de Haydn, quand il nous trace à grands traits la biographie du compositeur : Joseph Woelfl, né allemand en 1773, élève de Michael Haydn (le frère) et de Léopold Mozart (le père), ami sincère de Wolfgang Amadeus, rival de Beethoven, pianiste-voyageur, admiré à Paris, adulé pour ses improvisations à Londres, compositeur de deux symphonies, d’opéras, d’une soixantaine de sonates pour le piano solo… mort avant d’atteindre 40 ans.
Laure Colladant met grand soin à nous faire découvrir cette musique. Si la Sonate en sol (opus 54 n° 1) est d’une facture assez banale (un thème et six variations sans véritable signature), il en va de tout autre façon de la Sonate en la mineur (opus 54 n° 2) dont l’allegro initial, visiblement inspiré par Mozart (les batteries d’accords de la célèbre sonate KV 330), est un vrai bonheur. D’esprit virtuose (on pense à Clementi), indépendant de langage, par instants quasi improvisée, cette sonate mérite d’entrer au répertoire. La Sonate en ré (opus 54 n° 3) possède un ton grave, allié au sens de l’humour, mariage rare en musique. Woelfl y montre également sa maîtrise de la forme. Mêmes enjeux pour la Sonate opus 27 qui clôt cet enregistrement : complexité harmonique, nostalgie, finesse… cette musique passe avec plaisir.

Voici donc un disque des plus honorables, vivant grâce au jeu précis et lettré de Laure Colladant, grâce aussi au pianoforte (de Filipo Molitor) préparé par Johannes Carda, facteur d’instruments d’origine viennoise. Sa petite histoire du piano en préface est simplement extraordinaire. La qualité de l’instrument de Colladant est telle que l’on conçoit qu’il s’agit d’un disque à quatre mains, celle d’une pianiste inspirée et d’un artisan d’art sensible.

Laure Colladant, piano