Il ne faut guère plus d’une ou deux mesures pour reconnaître la musique de Joe Zawinul, ses couleurs, ses rythmes, ses incontournables gimmicks synthétiques et vocaux : un jazz fusion mêlant la poésie enfantine du vocoder et des nappes de clavier, les enthousiasmantes explosions de percussions et de sonorités ethniques collectées aux quatre coins de la planète, les plans joyeusement funky d’une batterie binaire et d’une basse électrique écrasante et véloce. Faces & places ne déroge pas à la règle et vient prolonger dans un voyage mondial (le Buenos Aires de Borges, la Vienne natale du pianiste, l’Andalousie, les States de Cannonball Adderley, on en passe) généreusement oecuménique les délices live du World Tour de 1997, parus sur le même label. Pléthorique, le personnel comprend quelques compagnons de route familiers (les basses d’Etienne Mbappé, Victor Bailey et Richard Bona, les toms de Paco Séry, les percussions de Manolo Badrena, la guitare de Dean Brown) et nombre de guest-stars (Zakir Hussain, Maria Joao, Bobby Malach et pas mal d’autres : tout le monde est venu participer à la fête) ; tous apportent leur pierre colorée à cette tour de Babel bigarrée et anarchique où le maître de cérémonie, devant son set démesuré de synthétiseurs, de microphones et d’accessoires, entrelace le son immédiatement identifiable de ses claviers avec les cuivres et les voix de ses partenaires.

Souvent plaisant, toujours éminemment sympathique, le résultat peut aussi, parfois, confiner à la plus touchante niaiserie (le pathétique Familiar to me, chanté avec une notable conviction par Richard Page) ou à un ennui poli mais réel. Mais ses énormes fautes de goût ne participent-elles pas autant que sa candeur universalisante au charme indéniable du citoyen Zawinul ? L’ex-leader du « Bulletin Météo », à 70 ans sonnés, continue à triturer ses synthétiseurs et à échantillonner des kilomètres d’instruments ethniques (on l’entend au taragot, un vent en ébène utilisé en Europe Centrale), s’assoit toujours aussi volontiers au piano droit et s’invente sans fin un monde exubérant et enfantin auquel Faces & places n’est finalement pas la plus mauvaise introduction. Souvent anecdotique, parfois lumineux, toujours attachant. Pourquoi pas ?