Les Jigmastas délivrent enfin leur album ! Infectious aurait dû sortir bien plus tôt cette année, mais tout n’est pas si facile du côté de l’industrie du disque, en hip-hop comme ailleurs. Demandez donc au brillant R.A. The Rugged Man (en featuring sur le Porn again des Smut Peddlers), qui rame comme un veau pour obtenir son « record deal ». Initialement, Spinna & Kriminul devaient sortir leurs enregistrements sur Tommy Boy, via leur subdivision Black Label. Mais cette dernière a cessé d’être, et les Jigmastas ont été éjectés comme des malpropres. C’est contre vents et marée qu’ils sortent cet album sur Beyond Real Recordings, leur propre écurie.

Ces deux briscards ont démarré leur équipée musicale dès le début des années 90, sous l’égide du défunt label Freeze. Les fans de Spinna vous parleront également du très bon EP Grass roots lyrical fluctuation, sorti l’an dernier sur Beyond Real Recordings. Infectious marque une étape importante dans la carrière de Spinna, DJ ultra-prolifique dont le carnet d’adresses est bondé de contacts, issus du hip-hop bien sûr, mais aussi du r’n’b et de la musique électronique. En fait, ce docteur ès beats fricote depuis longtemps avec De La Soul, Nightmares On Wax, Mary J. Blige, Mos Def ou encore les pointures des labels Talkin’ Loud et Mo’Wax, pour ne citer qu’eux. Outre ses différents mix (Funk rock, Strange games & things), on trouve son nom un peu partout. Comme sur le Diamonds are forever (remix) de Shirley Bassey, avec sa version de Spinning wheel. Ce crack des platines est aussi à l’origine du maxi Watch dees, sorti sur Rawkus il y a trois ans (featuring le petit Eminem et l’ogre Thristin Howl III). Un gars qui, selon toute apparence, gère bien son business…

Il existe deux versions de l’album Infectious. La version collector (très belle édition limitée) comporte un EP 7 titres avec des featurings de choix : Talib Kweli, Mr. Complex, Basement Khemists… Le titre phare de ce EP est sans conteste le remix de Lyrical fluctuation, où Pharaoahe Monch et Shabaam Sahdeeq se dégagent du lot avec prestance. Sur un beat bien chaloupé, de petits cliquetis curieux titillent l’ouïe efficacement, tandis que Mos Def assène un refrain énergique, marqué par des voix perturbatrices, qui rappellent le Funky enough du pionnier D.O.C. Quant à l’album, il démarre bien fort avec Introduction, qui n’a rien d’une vulgaire intro (« We need no introduction ») mais qui pète les enceintes au bout de trente secondes, sirènes et beats musclés à l’appui. Une voix féminine adoucit l’atmosphère tandis que Kriminul s’enflamme bien comme il faut. En fin de morceau, Spinna déchire la galette en surmenant un pur voice-sample (d’Ol’dirty bastard ?). Sur Till the day, on est tout de suite assommé par une basse qui gonfle les membranes des baffles, soulevé proprement par la rythmique et les scratches bien appuyés. Le niveau s’élève avec Vent, titre piquant qui s’articule autour d’une boucle de clavier envoûtante et d’un beat cassé ici et là par les mini-breakbeats du DJ. On apprécie également la fin du morceau, avec un fade out / fade in qui cache un petit instru… Une technique employée par Babu sur The Platform des Dilated Peoples, ou encore Mf Doom sur son Operation Doomsday. Le titre suivant, Don’t get it twisted, propose le featuring du grand Sadat X (on entend d’ailleurs ici un petit passage de Punks jump up to get beat down, morceau d’anthologie de son ancien groupe les Brand Nubian). L’instru, pourvu d’une boucle de voix bizarroïde et de synthés déformés à souhait, est une vrai bombe. Bref, beaucoup de bonnes choses sur Infectious, comme ce Lyrical mastery, ou Spinna manie les voice-samples avec furie, nappés de synthés et d’effets scratchés redoutables de dynamisme.

Certains passages laissent pourtant à désirer, comme le titre Elevate (Angela Johnson), qui puise maladroitement du côté du Love supreme de Coltrane. On évitera aussi le très laid Hollar, qui lorgne vers le r’n’b et le métal (Vernon Reid, ex-Living Color, y vient faire l’intéressant, le pauvre). On se casse aussi en courant à l’écoute du groovy-pourri Nocturnal Jam, featuring la très chiante Lorenda Robinson… On vous l’avait dit, Spinna connaît trop de gens, et c’est peut-être un défaut après tout. Dommage pour le J.I.G car il termine l’album en beauté sur une outro géniale, en jonglant avec des samples de moogs et un tempo dynamique, pour nous livrer un instru d’abstract hip-hop subtil. Malgré les écarts r’n’b ratés, on ne peut que s’incliner devant le boulot de Spinna & Kriminul, qui réussissent ici à nous lâcher un opus recommandable.