Le Murat nouveau est tombé dans les bacs. Et c’est un très grand cru. Il s’était fait attendre (trois ans -sans compter le Live– depuis Dolorès) mais notre patience est récompensée au-delà de tout espoir. Les muratophiles ne seront pas déçus. Gageons aussi que nombre de réfractaires, ou réticents, seront enfin convaincus. Car les uns comme les autres tomberont à la fois sous le charme et la surprise : un Murat fidèle à lui-même qui se renouvelle en même temps. Pouvait-on rêver mieux ? Si le mot-valise qui donne son titre à l’album intrigue dès l’objet en mains, le tracklisting annonce déjà la couleur. On retrouve ainsi le Murat familier à la lecture de Nu dans la crevasse, Au Mont Sans-Souci ou Le Fier amant de la terre. Cependant, l’évocation de Polly Jean éveille notre curiosité, Bang bang déconcerte, Belgrade et Viva Calexico laissent perplexe et Les Gonzesses et les pédés fait carrément halluciner !

Sans plus tourner autour du pot, on fait tourner la galette pour découvrir onze titres où l’on reconnaît l’univers de l’Auvergnat, subtilement teinté d’influences plus cosmopolites. L’enregistrement aux Etats-Unis n’y est pas étranger, tant pour les musiques que pour certains textes. Dès le premier tour de piste, on est conquis. Chaque plage musicale a sa propre atmosphère. Tout en conservant sa touche si personnelle, si nuancée, Murat propose de nouveaux climats où la variété des mélodies dénote une nette évolution, pour un résultat extrêmement séduisant.

Dix ans après Cheyenne autumn, le chanteur qui s’inspire pourtant toujours de ce qu’il vit, de ce qu’il éprouve, a concocté un album plus ouvert sur le monde. Dolorès était très personnel (quasiment intime) mais on y devinait comme une transition vers une nouvelle œuvre qui refléterait davantage les différentes facettes de Jean-Louis Bergheaud. L’introspection est encore omniprésente, moins nombriliste cependant qu’auparavant. Ce n’est plus la confidence d’un état d’âme douloureux mais l’expression d’aspirations plus diversifiées. Voici une occasion de modifier l’image sans doute restrictive que le public et les médias se faisaient de l’artiste. Tantôt mélancolique (Les Hérons), tantôt enjoué (Les Gonzesses et les pédés), l’ensemble oscille entre compositions sombres et mélodies pop faussement insouciantes. Une grande richesse instrumentale cohabite avec une sobriété sonore souvent émouvante. Bref, une palette musicale élargie, représentative du talent de Murat. Les instruments classiques -piano, violon, violoncelle- succèdent à toute la panoplie actuelle des guitare-basse-batterie grâce à la collaboration de plusieurs musiciens américains, et Murat lui-même glisse un clin d’œil à la mythologie musicale US (« How many roads to cross / How many rivers to cry »).
Pour un peu, sur certains titres, on se ferait presque un plan « singing in the shower ». Ainsi, « le galurin de P.J., galure rouge sang… » est plutôt irrésistible. Et pour changer de son inspiration montagnarde, c’est à l’air iodé que Murat s’est shooté… et au parfum de Miss Harvey.

Si les sentiments humains forment la base des thèmes abordés (de la douceur à la violence en passant par le désir), le temps qui passe, les animaux, la nature, des préoccupations plus contemporaines sont également évoquées, tels le conflit yougoslave ou la montée du FN en France.
On se laisse tour à tour entraîner, troubler, apaiser par ces compositions poétiques, élégantes, gaies, libérées et maîtrisées. Difficile de mettre à nu les nombreuses qualités de Mustango, tout en nuances et en contrastes, entre sincérité, générosité, légèreté, sobriété et espièglerie. Une chose est sûre : ce millésime est à consommer sans modération !