A la première écoute de Dream a Garden, on est d’abord refroidi, voire même congelé. Par son groove vague et flippé, par ses contours compassés: ce son de chambre froide synthétique, mince, on pensait en avoir fait le tour. C’est pourtant le son qui est affirmé d’un bout à l’autre de cet album, successeur d’un Classical Curves qui fut autrement plus libérateur de sueurs chaudes. Mais le nouveau Jam City est bien un disque de son époque. Nous étions prévenus avant même son écoute, pour peu qu’on se soit donné la peine de lire la note d’intention qui figure plein pot sur la pochette: Dream a Garden entend se confronter, rien que ça, à la décrépitude néolibérale du monde contemporain. Plus qu’un requiem pour les rêves broyés par la matrice – ce qu’il est aussi – Dream a Garden est une tentative vénère de retrouver un peu de lumière dans une nuit sans fin. Sans fin, vraiment ?

Tout est cassé mais tout n’est pas perdu dans le paysage que chantent la voix (spectrale) et les machines (martiales) de Jam City. Il serait malvenu de lire dans la démarche de Jack Latham ironie ou cynisme malin. Unhappy, un des titres-phares ici, ne s’en prend pas tant à la scie antinomique de Pharrell qu’aux racines de la culture yuppie eighties, celle-là même qui nous a envoyé nous exploser dans le mur du présent. Danser sur les ruines et pouvoir être à la fois conscients et heureux c’est, précisément, le programme déroulé par l’album. Autrement dit: il y a du boulot.

 

Comme pour presque tout disque rapidement qualifié de contemporain, on aura envie pour le cerner de citer James Ferraro. Ferraro, et surtout ses épigones vaporwave (Napolian notamment), auxquels on pense dès l’intro The Garden Thrives: son de basse slappée lissé par les nappes éthérées, attaque de beats dévoyés. Mais l’affaire commence vraiment avec l’extraordinaire A Walk Down Chapel. Si ce titre introduit des vocaux régurgitant un RnB fantôme (à la manière de How To Dress Well) qui reviendront plus loin, il suinte surtout une angoissante substance addictive qui fait une grande partie de la force de Dream a Garden. Implacable comme le présent, insaisissable comme le futur. La méthode est celle d’une hantologie à l’envers: plutôt que d’invoquer les résidus de nos souvenirs auditifs, les recouvrir par les déjections de notre époque jugée merdique (les titres ne mentent pas: Damage, Crisis…) et voir comment tout cela pourra respirer.

Dans ses meilleurs moments, comme le presque catchy Today, c’est à une version à la fois abîmée et upgradée du Michael Jackson de Bad que Jam City fait penser. Et, écoute après écoute, c’est petit à petit son discret côté smooth qui prend le pas sur son évident aspect criminal. En poussant le bouchon des comparaisons approximatives et des réminiscences du tournant des 80s finissantes, le feeling sous-marin des voix et le glacis de la surface situe le travail de production dans la lignée (dévoyée, certes) de celui d’un Thomas Dolby. Et on en revient à ce son qui, avec quelques pistes plus anecdotiques, pourrait émousser la force du propos, laissant parfois sous cloche la belle révolte de Latham. Alors que, précisément, on voudrait entendre le verre se briser vraiment, les fluides se répandre, la vie battre – n’était-ce pas l’intention affichée ?

Restent suffisamment de morceaux accrocheurs sur le long terme pour qu’on ait envie encore longtemps de suivre l’anglais – et sa rage sourde de garçon coiffeur. Et, évidemment, de partager ses espoirs obstinés. On l’a déjà écrit: tout n’est pas perdu, et la parole de Dream a Garden se partage elle aussi. La preuve ? L’album, pas mauvais au casque, est bien meilleur sur enceintes.