Berrocal, Fenech et Epplay ont chacun des pratiques sonores qu’on pourrait qualifier de transversales: le premier, né en 1946, est l’une des figures légendaires de la free music et du post-punk, révéré en Angleterre alors qu’il reste étrangement méconnu en France. Co-fondateur du groupe Catalogue, cet esthète excentrique a fait jaillir ses fulgurances de trompette au gré d’un parcours pour le moins insolite: on l’a entendu aussi bien avec Christophe qu’avec Nurse With Wound , avec Yvette Horner qu’avec Lizzy Mercier-Descloux. Le second, David Fenech, est un électronicien et un guitariste hétéroclite, au style impossible à qualifier: depuis le début des années 2000, il emprunte les voies accidentées de l’improvisation et multiplie les collaborations, en marge du rock et du jazz. Quant à Vincent Epplay, il est à la fois musicien et plasticien, et élabore depuis vingt ans un travail tant visuel que sonore autour de la rémanence et des spectres qui hantent l’inconscient collectif, en usant de synthétiseurs analogiques, de montages d’archives de l’INA et de films tournés en Super 8. A l’occasion de la sortie de l’album Antigravity (lire notre chronique), nous sommes allés à la rencontre de ce trio de franc-tireurs, évoluant sur des sentiers de traverse par delà les genres et les époques. Ce qui a fait dire à un critique anglais que leur collaboration évoquait “du dub mixé par Pierre Schaeffer”.

 

Comment vous êtes vous retrouvés sur le label anglais Blackest Ever Black ?

DF : On avait listé une dizaine de labels qui nous paraissaient intéressants, on a envoyé des démos et B.E.B. a réagi immédiatement. On a eu d’autres propositions, mais c’est avec eux que le feeling est tout de suite bien passé. C’est un label assez ouvert, et surtout cohérent. Il y a un esprit.

JB : Je ne sais pas trop ce que « cohérent » veut dire. Mais je comprends ce que tu entends par là. Sur le label Futura par exemple, on trouvait une certaine cohérence dans le free. Mais il y avait des nouveaux ingrédients qui arrivaient. Tu avais à la fois du jazz de Nouvelle-Orléans et de la pop complètement d’avant-garde. Mahogany Brain, avec les textes de Michel Bulteau, c’est du punk français avant la lettre ! Et ça n’est pas loin de la poésie sonore non plus. Cohérence, oui, mais pour moi le terme s‘appliquerait davantage à Eddie Barclay par exemple, qui était capable de sortir un disque de poésie de Jacques Doyen avec les structures sonores de Lasry-Baschet d’un côté, et un disque de Vince Taylor de l’autre. Et un slow de l’été dans la foulée, parce qu’il faut bien faire tourner la baraque. Le 45 tours du minet ou de la minette qui se vendait à des millions d’exemplaires, ça lui permettait de payer les orchestrations pour Léo Ferré, qui lui n’allait pas vendre autant. C’est en cela que c’est cohérent.

VE : La cohérence, elle est dans l’incohérence.

DH : C’est d’une « illogique placable », pour reprendre l’expression que j’utilisais pour décrire ma musique.

 La cohérence, elle est dans l’incohérence

Comment s’est opéré la rencontre entre vous trois ?

DF: Jac et moi, on jouait déjà ensemble depuis cinq ou six ans. On a joué à Nice sur l’invitation de Vincent lors d’une expo à la Villa Arson, et il s’est joint à nous sur scène avec son synthétiseur modulaire; ça s’est fait de manière extrêmement spontanée. On a un autre disque qui sort à la rentrée et qui a été enregistré il y a encore plus longtemps, avec Jason Willett (musicien américain qui a joué notamment avec Half Japanese et The Jaunties, et a fondé le label Megaphone, NDR) et Vincent qui intervient aussi.

VE : On a chacun des pratiques assez distinctes. Je connais la musique de Jac depuis très longtemps. Ca remonte à 1987, alors que j’étais encore étudiant aux Beaux-Arts de Nice. Je faisais déjà de la musique sur cassette et un ami m’avait dit qu’il existait d’autres musiciens qui travaillaient dans cet esprit un peu dadaïste, et il m’avait notamment fait écouter “Rock’n’Roll Station”, le fameux morceau de Jac avec Vince Taylor. Je suis venu habiter à Paris quelques années plus tard et c’est là que j’ai fait la connaissance de Michel Potage, un artiste qui avait laissé tomber la musique pour se consacrer à la peinture et à la poésie. Je l’ai logé quelques jours et il m’a appris qu’il avait travaillé avec Jac – je me suis dit qu’il y avait une sorte de rapport télépathique avec ça. La rencontre s’est opérée par convergence d’esprit, si l’on veut. Vingt ans plus tard, j’ai fait une installation pour l’exposition Le Temps de l’Ecoute à la Villa Arson en 2012 dans laquelle je reprenais tout ce que j’avais filmé et enregistré à l’époque et il se trouve que Jac apparaissait dans l’un de mes films tourné en Super 8. Et comme j’avais l’opportunité d’inviter des musiciens à l’ouverture de l’expo, j’ai invité Jac et David en duo. Et c’est comme ça que notre collaboration a démarré. C’est marrant comment les choses se relient, des années après… Mais ça aurait pu ne jamais se produire. Il a fallu vingt ans d’incubation.

DF : C’est une rencontre. Le mot « rencontre » est important. Je pense qu’on s’est bien rencontré tous les trois.

VE : J’ai toujours fonctionné sur ce mode là, il n’y a jamais eu aucun calcul de ma part. Je ne cherche pas à provoquer les rencontres en tant que telles. Il y a une sorte de magnétisme qui fait que tu rencontres les gens que tu dois rencontrer, c’est un processus naturel. Tout ça pour dire que ça n’a rien d’une collaboration forcée ou d’un featuring opportuniste: ce n’est pas comme pour ces disques ou ces films qui s’allient avec des noms connus, mais de manière totalement artificielle.

DF : Oui, ce n’est pas un hasard si on se retrouve ensemble.

Le quatrième instrument, c’est le studio

Votre connivence artistique semble aller au-delà de la simple collaboration. C’est un disque éminemment contemporain, très atypique dans ses formes et ses textures, mais aussi chargé de réminiscences du passé. Avec un certain sens du collage, de la collision d’univers sonores très hétérogènes – et là je m’adresse en particulier à Jac qui a travaillé avec Steven Stapleton de Nurse With Wound.

JB : Je préfère la notion de collision à celle de collage. Ce sont avant tout des histoires qui s’emboîtent les unes avec les autres, davantage que du cut-up. Je n’ai rien contre le collage, mais c’est très différent de notre manière de procéder.

DF : Parfois, entre Vincent et moi en particulier, on est dans des espèces de battements, de sonorités qui se répondent. J’utilise beaucoup la résonance des cordes de guitare tout en jouant avec la rugosité des riffs, tandis que Vincent utilise beaucoup les sons du Persephone et du EMS qui sont beaucoup plus fluides, or par moments, on a le sentiment d’être dans des harmoniques et des tonalités tellement proches qu’on n’arrive plus à identifier qui a fait quoi. C’est là qu’on se rend compte qu’on est arrivé à créer un tout homogène.

VE : Il y a un gros travail de mixage, en fait. Ce sont des sessions au départ, on laisse les choses se développer sur un terrain commun, mais ce n’est pas de l’impro où chacun resterait sur ses marques. C’est hors codes. David et moi, on fait des propositions de mix sur les sessions, dans le rapport technique au disque. Mais après, il y a une écoute collective et on décide ensemble. Jac, même s’il est moins dans l’aspect technique du maniement de logiciel, contribue aussi en disant ce qu’il faut ajouter ou enlever. Et ça tape juste à chaque fois, on est toujours d’accord là-dessus.

JB : Il n’y a pas quelqu’un qui dit : il faut absolument que je m’entende, les autres je m’en fous. Ca, ça ne peut pas marcher. Alors que c’est ce qu’il se passe dans beaucoup de groupes.

DF : Comme disait Vincent, le mix est extrêmement important. Le quatrième instrument, c’est le studio. Hier, quelqu’un a fait une critique de disque que j’ai trouvé très pertinente, il disait que ça sonnait comme du dub mixé par Pierre Schaeffer. C’est une description que j’ai trouvé assez juste. C’est une approche « musique concrète » qui part de la spontanéité du rock.

DF : Quand on sent que ça marche, on le sait.

JB : Oui, on sent ce qu’il faut garder tel quel, mais aussi là où ça nécessite des petites retouches ou des choses à colorer. Je dirais même qu’il y a une cinquième personne dans le groupe, c’est Noel Summerville, l’ingénieur du son anglais qui s’est occupé du mastering. C’est l’équivalent de Bonnard qui arrive à l’ouverture de l’expo et qui rajoute des dernières touches de peinture.

DF : C’est un magicien, il a vraiment fait un boulot extraordinaire.

VE : Il y avait un risque, c’était de partir dans des directions assez différentes. On a pas mal coupé et il y a certaines choses enregistrées live, comme le début par exemple. Il y a aussi beaucoup d’enregistrements en homestudio, entre chez moi et chez David. Il y avait plein de configurations dans un laps de temps assez large, étalées sur deux ans et demi. On est parvenu à créer une forme de cohésion entre tous ces éléments. Le mastering a permis de mettre en relief tout ça, c’est un peu comme l’étalonnage pour un film. Ca va même plus loin que ça, le mixage peut révéler des choses entièrement nouvelles. On voulait conserver des densités sonores différentes, du low-fi à des choses beaucoup plus précises. A l’écoute du disque, ça se tient. Tout est très ciselé.

Il y a le moment de grâce sur l’instant, et quand tu veux le refaire, tu n’y arrives jamais.

Comment s’est déroulé l’enregistrement ?

DF : On répétait autour d’un multipistes et moi, je laissais l’enregistreur tourner. C’est la meilleure façon de procéder.

JB : Gilbert Artman a toujours dit ça, que ce soit pour Lard Free, Urban Sax ou Catalogue, il préconisait de tout enregistrer. C’est là qu’on capte des moments de grâce.

DF : Une répétition est souvent mieux qu’un concert ! Il se passe quelque chose d’imprévu, un événement, un accident. Ca peut aussi être une question d’état. Le morceau « Nanook » par exemple est décliné en deux version sur l’album : la première est en live, la deuxième (« Nanooks ») a été enregistrée chez Vincent à 2h du matin de manière totalement spontanée.

JB : Et en ayant bu beaucoup d’eau, je crois ! (rires)

DF : Oui, tellement d’eau pétillante que c’est sorti comme un geyser ! Si on avait pas enregistré, on aurait jamais retenu le truc, ça se serait volatilisé à jamais.

JB: Ca fait partie de la magie d’un couple à quatre, à trois, à deux ou même tout seul. On se dit qu’on a fait un truc, mais on est pas sûr que la deuxième ou troisième prise soit mieux que la première. Il y a l’effet de surprise qu’on ne peut pas réitérer.

DF : C’est un peu comme refaire une blague. Tu fais une blague, tout le monde rigole, mais quelqu’un a mal entendu et te demande de la raconter à nouveau. Et là, c’est le bide assuré. Il y a le moment de grâce sur l’instant, et quand tu veux le refaire, tu n’y arrives jamais.

VE : Mais ce n’est pas de la musique improvisée pour autant, du moins pas au sens propre. Ca participe d’autre chose, c’est une musique de l’instant qui renvoie à plein de réminiscences. Jac joue de la trompette par rapport à des standards, des airs, sans qu’on en prenne forcément conscience. Comme quand il reprend « After the Rain » ou « La Valse des Lilas », qui est à l’origine un titre de Miles Davis accompagné par Gil Evans. Je ne l’avais jamais entendu avant que Jac le joue. C’est une mémoire qui est soulevée.

Ce n’est pas par manque d’inspiration qu’on fait des reprises, c’est une convocation de l’inconscient collectif.

Ca participe d’une forme d’invocation.

JB : Oui, on invoque des fantômes. Ils arrivent on ne sait trop comment. Avec David et Ghédalia Tazartès, on avait enregistré un disque il y a quelques années de cela en Belgique où on joue un thème fantastique des années 1930 qui s’est vendu à l’époque à des millions d’exemplaires : J’attendrais, de Rena Ketty, un tube intemporel qui a été repris par Dalida et que tout le monde connaît, toutes générations confondues. C’est comme le Requiem de Mozart, c’est un thème sacré – et comme tous les requiem, c’est d’une beauté épouvantable. Ce n’est pas par manque d’inspiration qu’on fait des reprises, c’est une convocation de l’inconscient collectif. Tout à coup, l’un d’entre nous lance un thème sans même y avoir réfléchi au préalable. Ca arrive peut-être parce que l’un de nous l’a entendu à la radio, on essaye alors de le rejouer ensemble et éventuellement, ça marche.

Tu veux dire que le thème s’est imposé sans que ce soit prémédité?

DF : Ce n’est pas une reprise, c’est une amplification. C’est comme quarante miroirs face à face de J’attendrais.

JB : Des miroirs déformants.

VE : C’est une rémanence du passé. The Overload par exemple, c’est inspiré du morceau homonyme des Talking Heads, mais au final, c’est à cent mille lieues. C’est un prétexte pour faire autre chose. Mais c’est quand même énoncé, car l’inspiration part de là. Mais c’est au-delà de la reprise. C’est un malaxage qui crée autre chose.  Les personnes qui écoutent le truc, ça leur pose une double question : comment ont-ils fait ce morceau ? Quelle est la base d’origine ? Ce n’est pas souvent énoncé sous cette forme. Là, ça devient presque conceptuel.

DF : Un peu comme chez les Residents.

VE : Oui, sauf que les Residents le font d’une manière plus ironique. Quand ils refont du James Brown ou du Gershwin, c’est une reprise à la sauce Residents.

DF : C’est tellement digéré et régurgité que ça ne ressemble qu’à eux. C’est de la réappropriation. Et c’est un peu ce qu’on essaye de faire.

VE : Sauf qu’on est encore plus nébuleux.

JB : Ce qu’on fait est plus spectral, disons. On convoque des spectres. On est dans une buée où il y a Eddie Barclay, Catherine Sauvage, Miles Davis avec Gil Evans… C’est un vague souvenir qu’on joue à notre manière vague aussi, car on a pas très bien le souvenir des notes! (rires) On en prolonge l’intention originelle, même si la forme s’en éloigne.

Je ne crois pas en Dieu, mais par contre j’ai un faible pour les saintes.

Tu as toujours travaillé de cette manière, Jac, en convoquant les réminiscences d’un passé mythique.

JB : Oui, il y a des choses qui reviennent souvent comme Lonely Woman de Ornette Coleman. Je l’ai joué avec des formations très différentes. Je l’ai entendu la première fois sur Europe 1 à deux heures de l’après-midi, alors que j’avais même pas quinze ans. J’arrivais de servir la messe chez les Carmélites, de chez les Franciscaines où j’étais tombé amoureux d’une religieuse – j’avais redoublé ma communion, mais j’aurais bien aimé la doubler , la tripler ou la quadrupler ! En même temps, j’entends Gene Vincent et Vince Taylor à la radio, suivi d’Ornette Coleman et Don Cherry en prime time, c’est un choc énorme ! Je sortais des chants de la Renaissance que j’ai énormément aimé – cette période de 1470 à 1580, jusqu’à Palestrina, une époque magique où on donnait des messes et des concerts en latin. Après les concerts ou les messes, on avait les mamans qui arrivaient avec leurs jeunes filles et qui offraient des gâteaux, ça motive pour faire de la scène !

Tu as un rapport très fort à la liturgie.

JB : A la liturgie, oui ! Pas à la religion. Je ne crois pas en Dieu, mais par contre j’ai un faible pour les saintes ! (rires) J’ai Sainte Emilie à cause de mes dents, j’ai Sainte Rita pour les causes désespérées et puis Sainte Thérèse de Lisieux bien sûr, puisque notre mère nous avait mis au couvent de Sainte Thérèse, et Dieu sait si elle nous a protégé. Je suis très paradoxal. Il y a des gens que le catholicisme a esquinté, moi pas du tout. Ce que j’aime, c’est la théâtralisation, le rituel, les grandes orgues qui ricochent sur les vieilles pierres des chapelles obscures, les saintes ensanglantées, ce mélange baroque de douleur et de plaisir. Par contre, je n’ai jamais cru une seule seconde en l’existence d’un être suprême, c’est pas mon truc. Mais les saints et les saintes existent. Comme Maximilien Kolbe, un prêtre catholique qui a donné sa vie à Auschwitz à la place d’un père de famille sur le point d’être exécuté.

DF : Il faut savoir que Jacques a débuté la scène comme enfant de chœur chez les Carmélites.

JB : Oui, et je sentais déjà une sensualité ambiante. On était en petit short sous nos aubes, tandis que le curé était vieux et moche, c’était un ectoplasme avec le vin de messe qui arrangeait pas les choses, alors que nous on était jeunes et vigoureux, la nuque rasée, tout propres. Va savoir, peut-être qu’on a fait rêver une cinquantaine de carmélites en une demi-heure ! Elles chantaient des chants grégoriens en latin, alors que chez moi, mon père écoutait Louis Armstrong et Erroll Garner – c’était vachement bien d’être exposé à ces deux types de musique à la fois.

Tu es souvent assimilé à un improvisateur, alors que tu es plutôt un mélodiste.

JB : Ah, mais ça tu as complètement raison. Ca fait plaisir à entendre. Je rêverais d’improviser, mais tu te rends compte, des bons improvisateurs il y en a très peu, peut-être trois ou quatre par siècle ! Comme disait LF Céline, « un style, c’est rare…  il y en a un, deux ou trois par génération ». Le reste, c’est du bavardage. Moi je me considère pas comme trompettiste, déjà. Et je ne dis pas ça pour faire un effet de style, ni pour me diminuer. Je suis un souffleur de trompette, un amant de la trompette qui adore souffler dedans. Et j’essaye de faire au mieux avec mes compagnons de plaisir et d’aventure. Un trompettiste, c’est un instrumentiste à qui on peut demander de jouer n’importe quoi et qui va te le faire au poil. Or, moi, je ne suis pas comme ça !

J’ai appris à jouer de la trompette avec un armurier et un trompettiste de bal qui étaient tous les deux bourrés

Retrouves-tu la démarche de Catalogue au sein de ce nouveau trio ?

JB : Non, Catalogue était beaucoup plus free, plus rentre-dedans. La batterie avait une grosse caisse très proéminente, Jean-François improvisait à la guitare par-dessus tout en tenant le truc. Catalogue, je ne sais pas trop comment ça s’est monté. On était en 1979. Je sortais d’une période très « free music européenne » à laquelle j’étais mêlée. Et quand j’ai rencontré Pauvros, on a monté Catalogue, le groupe (d’après le titre de l’un de mes disques). On a été invité dans un festival de free music mais on avait une approche beaucoup plus rock. On a quand même eu beaucoup de succès. Il faut dire qu’on était dans un état très spécial… C’était du rock très free aussi ! (rires) Il y avait aussi des personnalités comme Potage, qui jouait juste deux accords à la guitare tout en éructant, le cinéaste Patrick Prado qui jouait de l’harmonium d’église, Jean-Pierre Arnoux qui jouait sur une batterie d’enfant… C’était incroyable ! On était habillé aussi comme c’est pas permis : des ceintures rouges, des pantalons qui tombent, le nombril à l’air, des chaussures à haut talons… On n’était pas vraiment glamour non plus, on était étranges, bizarres, un peu extra-terrestres. Et puis à côté de ça, on avait des copains qui jouaient en pull jacquard et en pataugas avec des grosses chaussettes ! (rires) C’est difficilement descriptible. Il y a même un mec de jazz qui a dit : « Je pense que c’est du free-punk, mais je n’en suis pas sûr » (rires)

Comment as-tu débuté la trompette ?

JB : Je ne suis pas passé par l’apprentissage classique ; j’ai appris à l’oreille, à l’instinct. J’ai découvert la musique vers l’âge de dix ans, à la fois en écoutant la radio, en et  en travaillant les chants de la Renaissance quand j’étais enfant de chœur chez les carmélites. Quant à la trompette, j’ai appris à en jouer avec un armurier et un trompettiste de bal qui étaient tous les deux bourrés ! (rires) Voilà, je n’ai aucune excuse ! (rires) Je suis un gosse, un animal, tu comprends. Je travaille comme ça la musique, au fur et à mesure des rencontres avec des gens qui sont comme moi. Il y a un truc d’instinct, par rapport à d’autres musiciens qui sont seulement rivés sur la technique. « T’es en quoi, là ? Ah ben fallait me le dire que t’étais en fa mineur ! «  (rires) Et là, effectivement, si t’es pas en fa mineur de bicarbonate de soude majeur, y’a plantade ! (rires) Tu piges tout de suite que ça va pas le faire!

VE : Tout est question de langage.

JB : Ce qui est fabuleux, c’est de travailler avec des gens qui ont le même instinct. On est une famille, on est des animaux qui travaillent en meute. On est que trois, mais on pourrait être cinquante ! Si il y en a un sur les trois ou quatre qui est mal à l’aise, il faut divorcer rapidement. Tandis qu’entre nous, c’est un mariage extrêmement réussi.