Bach, un compositeur français ? La chose a certes déjà été soulignée. Il suffit de penser à ses six Suites françaises pour clavecin. Mais ce n’est pas celles-ci qui intéressent Olivier Baumont. Au contraire son oreille s’est posée sur quatre suites moins reconnues dont l’écriture musicale pouvait être assimilée au style français. Démarche passionnante qui met en valeur notamment la formidable capacité de Bach à intégrer et digérer les influences étrangères. Pour le bon Allemand qu’il était, Couperin représente ainsi l’archétype du goût français. Auteur de quatre Livres, aussi beaux qu’anodins en apparence, ce dernier a justement entretenu une correspondance soutenue avec Bach. Baumont avait enregistré avec succès une intégrale de l’œuvre pour clavecin de Couperin il y a quelques années. Fort de cette connaissance, il a donc décidé comme dans un dialogue musical improbable de révéler les inflexions de notre Grand Siècle catholique dans la musique du plus protestant des musiciens allemands.

Bach n’a pas composé de pièces de caractère comme Couperin. Il s’est contenté de reprendre pour ses titres des noms de danses ou de tempo français (bourrée, fort gai…). Mais l’entreprise de Baumont ne réside pas dans cette approche illustrative de la musique du cantor. En effet, il a privilégié une certaine qualité sonore, une certaine façon de jouer du clavecin. En utilisant le clavicorde dans quatre des plus célèbres Préludes et fugues, il donne un nouvel éclairage à des œuvres archi-rabâchées par les pianistes de tous les âges. Le jeu de Baumont peut ainsi clairement se définir comme français. Pas d’austérité, de retenue, de métaphysique empesée dans son articulation et son phrasé. Ce qui l’intéresse, c’est la danse, art français par excellence des XVIIe et XVIIIe siècles. Il ressort de cet enregistrement une vitalité, un mouvement exceptionnel. Parfois grisé par cet élan, Baumont parvient sans mal à franciser les spécificités allemandes de la musique : contrepoint, architecture, rigueur.

L’énergie qui innerve chacune des pièces est absolument réjouissante. C’est à un véritable bain de jouvence qu’il convie Bach et l’auditeur. Comment rester insensible à la joie qui anime l’Air pour trompettes de la Suite BWV 832 ? Comment ignorer la grâce et l’agilité des trois Menuets ? Mais Baumont ne cherche pas pour autant à défigurer la musique de Bach. Francisé peut-être, naturalisé certainement pas. Il se dégage des quatre suites, belles comme des fleurs naissantes, une incroyable familiarité avec l’art savant et réglé du bon père allemand. En définitive, notre attachement vient de l’intelligence profonde que manifeste un tel programme bien construit, bien joué, bien enlevé. S’il n’y avait qu’une chose à retenir, ce serait la sérénité et la quiétude que procure l’art du clavecin d’Olivier Baumont. Vous avez dit français ?

* Suite en mi bémol majeur BWV 819a, Suite en fa mineur BWV 823, Prélude n° 1 en ut majeur BWV 846a, Prélude n° 5 en mi mineur BWV 855a, Prélude n° 2 en ut mineur BWV 847, Prélude n° 3 en ré mineur BWV 851, 3 Menuets BWV 841 à 843, Choral « Wer nur den lieben Gott lässt walten » BWV 691