Audacieux pari que celui d’Isabelle Olivier (dont les cinéphiles ont pu entendre dernièrement les bandes originales dans les films d’Abdelatif Kechiche, L’Esquive, et Nicolas Cornut, Comme des enfants), et même double pari si l’on prend en considération le projet qu’elle mène depuis près de quinze ans, date à laquelle elle a fondé le groupe « Océan » avec le saxophoniste Sylvain Beuf et les frères Moutin : s’imposer avec sa harpe dans un milieu (la jazzosphère) où cet instrument n’est guère coutumier, même si ses couleurs ont pu intéresser les arrangeurs dès avant la seconde guerre (on trouve des harpistes chez Eddie Sauter, dans certains enregistrements avec orchestres à cordes de Charlie Parker, chez Woody Herman ou encore chez Oscar Pettiford, sans que leur soit en général confié de solo). Quant aux grands noms, à part Alice Coltrane (laquelle utilise l’instrument de manière pour le moins hétérodoxe, en pleine vague free), on peut mobiliser toute sa mémoire sans en rencontrer qui se sont fait une spécialité des cordes pincées. Marier harpe et jazz, donc, et se tenir à cet alliage non conventionnel, voilà le premier pari de la musicienne ; le second, c’est de proposer ici un album en solo, inspiré par « ces îles du Pacifique que les marées peuvent entièrement submerger pour un temps, que les éruptions sous-marines tentent au contraire de reconstituer suivant d’autres contours, que pour ces raisons on ne nomme pas autrement que par des nombres », selon les mots de Dominique Druhen, signataire des notes de pochette. En réalité, Isabelle Olivier ne s’est pas lancée totalement seule dans l’aventure ; si l’on n’entend effectivement qu’elle au fil des quinze plages (filons la métaphore insulaire) du disque, elle s’est entourée de deux musiciens, Sébastien Texier et Olivier Sens, pour orienter sa musique dans deux directions différentes : acoustique d’un côté, électronique de l’autre. L’enchevêtrement de ces deux options assure la variété d’un album qui, de fait, évite la monotonie qu’aurait pu engendrer le strict parti pris du solo, d’autant que la harpiste s’entend à tirer toutes les textures et nuances possible de son instrument (de ses instruments, devrait-on écrire, puisqu’elle joue aussi bien de la grande que de la petite harpe, parfois en même temps) et à puiser dans tous les registres et traditions auxquels il est associé (de la grande musique française à la musique celte, en passant par les musiques sud-américaines). Ailleurs, elle prépare sa harpe comme on prépare un piano, glissant des bandelettes de papier entre les cordes afin d’en étouffer le son. Autant de ressources qui éloignent l’austérité attendue et font d’Island #41 un disque d’une richesse surprenante, à partir duquel la harpiste et Olivier Sens ont conçu un spectacle éponyme qui devrait lui donner une autre ampleur encore.