Album écouté dans la ville la plus schizophrène d’Europe, Edimbourg, Neveroddoreven est paré pour moi d’un halo malfaisant, le même que celui qui émane des ruelles sombres de la vieille capitale écossaise, refuge de Frankenstein et de William Brodie (aussi connu comme Dr Jeckyll & Mr Hyde). Le palindrome qui forme le titre de ce premier album de I Monster reflète autant la réconciliation de deux éléments séparés (old town et new town, nature et culture, instinct et raison) que la double conscience psychédélique, celle qu’un simple miroir sépare en deux parties distinctes et pourtant absolument semblables. Vous vous en foutez peut-être ? Il n’empêche, qui sait si la valeur objective d’un disque ne tient pas au moment de son apparition dans nos modestes existences ? Celui-ci me semble tomber bien mal à propos, annonciateur morbide, en même temps qu’il tombe juste. Dans son époque, à son instant (revival 69, décadentisme et obscurantisme, etc).

Bref. I Monster est le projet electro de deux musiciens de Sheffield, Dean Honer et Jarrod Gosling, déjà connus comme membres du collectif pop et psyché All Seeing I (Pickled eggs & sherbert en 99) au sein duquel on trouvait également Jarvis Cocker et Babybird. Depuis, Dean a fait de la production avec Add (N) to X et Jarrod s’est construit une grosse banque de samples. Ils ont sortis une reprise du Beta Band Daydream in blue, devenu une musique de pub, et ce premier album éclectique en novembre, à titre fermé sur lui-même. Tirant son inspiration des films horrifiques de la Hammer et du cinéma bis, le duo a construit là une sorte de disque-film, variant les scènes et les ambiances, du trip-hop rétro de Daydream in blue à la pop étrangement inquiétante de These are our children ou The Backseat of my car. Mélancolie Air, mélodies Royksopp, instrumentaux Goblins, rythmiques Portishead, vocaux Isaac Hayes, I Monster témoigne d’une grande culture, tant clubbing que pop et rock, convoquant multiples références (pop 60’s, house, hip-hop), diverses voix (féminines ou masculines) et ambiances variées (Ed Wood, Tim Burton…) et foultitude de samples. Spontané en même temps qu’il est sophistiqué, avec ses ambiances recherchées et ses lyrics amusants (entre Mr Bungle-Fantomas et la famille Addams), Neveroddoreven se distingue du monolithisme de la production courante, reste grand pourvoyeur de mélodies. Ce disque devrait bien marcher selon toutes prévisions.

On chipotera juste sur le caractère peut-être un peu opportuniste d’une telle production. Le tic de l’anachronisme sonore (des beats house sur des grésillements de vinyls, des vocoders sur des cordes 60’s etc), le déploiement d’effets (le cut-off notamment) font parfois sonner le tout comme une belle coquille vide. Et puis on oubliera les préventions personnelles. Schizophrénie aidant, on se laissera tenter, puis séduire par l’exercice de style, cette belle démonstration de producteurs, et on retiendra la présence de réelles chansons et d’une nouvelle singularité musicale. Petite faiblesse d’hiver.