La nouvelle ne bouleversera sans doute pas grand monde, mais Hypo, Anthony Keyeux de son vrai nom, vient de propulser un nouveau prodige. On parle bien sûr d’Emmanuel de Hericourt. Si cette dernière a déjà sorti discrètement dans les bacs japonais son subtil Morgen sur le label Intik et placé pas mal de titres en solo sur divers travaux attachants, Mademoiselle De Héricourt ne s’était jamais fait mettre autant en avant. Excusez l’expression, bien sûr. Mine de rien, Hypo devient un genre de perdant magnifique de l’electronica française. Quant on parle d’electronica française, on parle bien sûr de ce maelström débile, monté en mayonnaise par les réussites de quelques blaireaux déviants, devenu en quelques années un réservoir de chiens mi-nerd, mi-freak qui a piqué et pompé tant de monde qu’on n’arrive plus à le contenir aujourd’hui. Hypo y était toujours invité, mais jamais il n’allait à la fête. Rien ne dit cependant que ce cinquième album viendra à bout de ses démons et lui offrira le temple mérité. S’il échoue, la défaite sera fastueuse. Toutes ces nymphettes qu’il a déjà absorbé (Anne Laplantine, Sawako, Reiko, The Very Ape…) lui permettent à chaque passages de boursoufler ses pensées mélodieuses, tout en régurgitant ses influences amies les plus discernables (sans creuser trop loin, on dira His Name Is Alive, Broadcast, Pram, New Order…). Sur les expériences les plus dépouillées de The Correct use of pets, on pense aussi au travail du laborantin anglais Gary Webb, tête de fer de Tubeway Army, mais aussi à Dymaxion période Death

D’entrée de jeu, The Correct use of pets démarre idéalement avec Naughty place. Les déplacements synthétiques d’introduction font penser à du Yellow mid-80’s, tandis que les rythmiques viennent chevaucher avec fougue des bruines de trompettes éventrées, ouvrant leurs gueules à une basse déséquilibrée. La longue introduction instrumentale se nappe ensuite de synthés et de blocages… Au bout d’une minute, la voix d’EDH s’amarre aisément aux schémas harmoniques du dandy malin au grand K. Avec son canevas serré de guitares et de synthés hypnotiques, qui met en valeur les vocalises de l’invitée, Hypo expose une palette de sons qui s’associent magiquement, sans jamais vraiment exploser en miettes. Mais revenons donc à EDH, puisqu’elle se place ici sur une grande majorité des titres, laissant d’ailleurs à certains endroits un espace très réduit (tant mieux) à son adversaire courtois. La beauté et l’étrangeté de sa voix ne semblent faire qu’un. Et cette sensation de bien-être et de malaise que l’on saisit ici de temps à autre séduit sur de nombreuses pistes. Elle possède un timbre de voix à la sensualité un brin androgyne, ce genre de caresse tremblante et émouvante qui convainc de facto.

Et c’est un peu grâce à Hypo, qui réussit à habiller d’un écrin soyeux le gosier lumineux de cette demoiselle artificiellement diluvienne, que les comptines de Miss EDH aménagent ses tournoiements extravagants. M’est avis que cet Anthony est le genre de type qui imite Robert Smith à la perfection, surtout lorsqu’il se cache derrière un candélabre à quatre têtes pour mieux éviter les paparazzis microscopiques qui cherchent leurs appareils photographiques. On se demande d’ailleurs souvent comment sa musique, métissée avec une débilité aussi mongolienne, s’étend si étonnamment, si commodément… Outre ses roulements à billes dévergondées qui transvasent des navettes d’electro-pop opprimée, le ventre Hypo / EDH se mute aussi en puits à souhaits fruités, en déplacements folk aplati par des fractures sonores alambiquées. The Correct use of pets, c’est aussi un magma musical où rien n’est jamais vraiment proscrit. Surtout pas les machines et tous les bricolages qui vont avec -boîtes à rythmes minimalistes, synthés réparés avec du Scotch Lidl, bouts de langues qui dépassent sur le côté de la bouche. Et surtout beaucoup de dérapages, de sorties de route… De nombreuses rondelles sonores s’entrecroisent ici, prenant un plaisir dingue à travestir les créations ardentes modelées avec sentiment. Quitte à flirter, parfois, avec le pop-corn (le spasmodique Lament). Sur All my fingers are away et Glow, épatantes chansons dont les ambiances reposent sur des samples paradoxaux, l’hydre à deux têtes se drape dans une noirceur nostalgique qui n’est pas sans rappeler l’univers inquiet de Spandau Ballet déglingué aux amphés, tandis que Herlmut heit évoque plutôt l’esthétique nomade et mutante d’un Pita sans drogue -mais d’un Pita malade, patraque, à qui les appariteurs auraient coupé le jus. Plus loin, le grand mezze Hypo / EDH (qui ne se contente pas ici de simplement poser sa voix) s’enrichit de saveurs additionnelles : parfums de new-wave éternellement retournée en version bricolo sur Ouba ou Johnny, émanations de musique répétitives, aussi, sur Tromplex par exemple… Le plus épatant dans cette nouvelle histoire de collages faussement aléatoires que nous propose ce binôme mal(sa)in étant qu’après plusieurs écoutes de l’album, l’ensemble s’impose avec une tranquillité et une évidence pour le moins sidérantes. Pour synthétiser vulgairement, on pourrait qualifier ce disque de véritable bonbon recyclable, à croquer ou à avaler, sans date de limite de conservation.