Plusieurs enregistrements historiques de la chanteuse Helen Merril, à placer dans votre discothèque adorée aux côtés de ses collaborations avec le trompettiste Clifford Brown et plus tard avec le pianiste anglais Gordon Beck, font l’objet actuellement d’une réédition. Et, si l’on prête d’ordinaire plus d’attention à des musiciens moins largement reconnus voire complètement ignorés, dont les création sont plus récentes, ce n’est pas une raison pour se priver de signaler des rééditions réussies et rares, tel cet A Shade of difference, enregistrement de juillet 1968 (déjà tout un programme). Pour ceux d’entre vous qui sont habitués à l’écoute des grandes divas noires américaines, Helen Merril pourra apparaître dans un premier temps comme une chanteuse assez peu expressive à la voix terne : pas d’exubérance, pas ou peu de scatts torrides, peu de chaleur dans la voix de cette artiste qui cultive un certain minimalisme qui pourrait la faire passer au mieux pour la mère de Björk et au pire pour la marraine du groupe Abba. Mais ne vous y trompez pas ! Laissez lui le temps de vous apprivoiser. Helen Merril est une grande chanteuse qui a toujours fait preuve d’originalité en maintenant une esthétique personnelle hors mode. Les racines sont pourtant là et un blues comme I want a little boy est d’autant plus efficace qu’a priori, il n’est pas chanté comme un blues (ou plutôt comme on chantait un blues jusqu’à Helen Merril).

A l’instar de cette chanson, tous les thèmes de l’album, essentiellement des ballades, sont brillamment choisis mais surtout desservis par des arrangements merveilleux dus au pianiste Dick Katz. La liste des musiciens, tous déjà des légendes à l’époque, laisse tout simplement pantois, gros jean comme devant, baba, imbécile, défoncé, incrédule comme vous voudrez (rayer la mention inutile). Jugez plutôt : Thad Jones, Hubert Laws et Gary Bartz pour les soufflants, Jim Hall, Richard Davis/Ron Carter et Elvin jones pour la rythmique. Mais rassurez-vous, l’album n’est pas une parade de petits génies du Conservatoire de la vie. C’est plutôt une réunion entre des esthétiques complémentaires de musiciens dont les parcours personnels se fondent, ô miracle, parfaitement dans ce groupe de circonstances.

Le languissant Lonely woman, standard d’Ornette Coleman chanté sur fond de piano inquiétant, de rythmique afro-cubaine jouée au ralenti et de cuivres traînants est un des chefs d’œuvres de l’album, suscitant l’atmosphère d’une complainte schizophrène. Idem s’agissant des magnifiques Spring can really hang you up the most, My funny valentine et Never will I marry. Un véritable « must » comme on dit quand on veut faire chic !