Excellente nouvelle ! Revoici enfin les Californiens étonnants de Grandaddy, et avec un album concept, s’il vous plaît ! Ce n’est pas peu dire qu’on guettait avec impatience le retour de ces vrais faux doux dingues, dont la compagnie est devenue indispensable depuis l’impressionnant Under the Western freeway et la compilation The Broken down comforter collection. Granddady mélange avec insouciance et légèreté une improbable désinvolture pop rock mélodieuse et goûteuse, en injectant, sans prévenir, des photographies sonores (il n’y a pas d’autres mots), qui sont autant de palettes de couleurs spécifiant les compositions. En résumé, on ne s’ennuie jamais avec eux. Happé par une certaine mélancolie, chaque tableau -leur musique est très « visuelle »- se démultiplie en nous baladant dans la conscience dérangée de Jason Lytle, grand ordonnateur barbu du Grandaddy, à la voix caressante et nasillarde. De fait, on ne connaît ici aucun équivalent en terme de fraîcheur, de frissons complètement barrés dans les limbes de la lune -à part, peut-être, quelques Mercury Rev ou Olivia Tremor Control. Quant à l’émotion, c’est du côté de High Llamas et consorts qu’il faut aller pêcher.

The Sophtware slump (la régression du « laugiciel ») nous emmène une fois de plus en voyage, mais organisé cette fois-ci. En effet, Jason Lytle, l’humaniste branleur, s’attaque avec délicatesse et poésie au spectre des nouvelles technologies. Attention cependant, il ne s’agit pas de pastiches dance ou techno. Non : tout est dans le discours, la finesse harmonique un tantinet décalquée, dont les titres à eux seuls valent toutes les tribunes anti-Aol ou Microsoft. Rien à jeter (sauf son clavier) sur ce monument, depuis le nonchalant Hewlett’s daughter, jusqu’au grinçant Jed the humanoid -qui raconte un drame déchirant après la mort d’un robot- ou la pop song futuriste So you’ll aim toward the sky, habitée de bout en bout. En fait, ce que Grandaddy pouvait perdre en émanations fluctuantes -certes excitantes- gagne ici en cohérence thématique, tout en restant fidèle à une recette éprouvée et certifiée sur Under the Western freeway. Qui, pour mémoire, se terminait sur une inoubliable symphonie de grillons et de « bzzz » d’abeilles. On restera cette fois sous le charme quasi instantané de cette ode aux accords subtils et à la beauté évidente, qui nous conduit délicatement en orbite, avec force nappes de claviers et chœurs pour tutoyer les cieux. Difficile dans ces conditions de redescendre se faire plumer dans la jungle du high-tech…