Deux trios piano / basse / batterie que rien d’objectif ne rassemble, et qui ne se retrouvent dans cette chronique que pour une raison subjective : celle qui tient au fait que Giovanni Mirabassi et Eric Legnini sont, dans le paysage du jazz européen, deux des pianistes dont nous avons le plus souvent parlé dans ces pages, et avec le plus d’enthousiasme. (Pour Mirabassi, on jettera un œil sur nos chroniques, dans le désordre, de Architecture, Prima o poi, Terra furiosa, Air et Cantopiano ; et pour Legnini, sur celles de Miss soul et Big boogaloo). Rien en commun, donc ? Voire. En prenant un peu de distance, ne dirait-on pas que ce qui séduit chez ces deux trios, c’est une sorte de lumière, de bonne franchise qui les rend immédiatement attachants, de sincérité directe dans leur façon d’aborder la musique ? Chez l’Italien, on retient toujours l’amour de la mélodie, une inspiration qui puise du côté des mélodies légendaires présentes dans l’imaginaire collectif (chanson française, chants révolutionnaires) ; chez le Français, celui du groove, la continuation de la tradition hard-bop ; pour les deux, une même énergie solaire, revigorante, qui fait de leurs albums un enchantement. Et si leur réunion n’était finalement pas si absurde, au-delà de son artifice assumé ?

En tous cas, pour l’un comme pour l’autre, ces nouveaux albums continuent le sillon des précédents. Chez Eric Legnini, toujours entouré de Franck Agulhon (batterie) et Mathias Allamane (basse), on creuse un peu plus loin la veine funky avec, entre compositions originales et reprises (Gillespie, Stevie Wonder et deux ou trois standards comme A Sleeping bee ou Darn that dream), des tourneries irrésistibles et de superbes envolées au Fender Rhodes, gras, jouissif. Le titre fait allusion à Struttin’, un album des Meters ; façon d’indiquer les racines New Orleans de cette musique qui généralement fait bouger les genoux, mais qui parfois se retourne aussi vers l’intérieur pour mettre au premier plan son côté spiritual (« Introspection #1 », en solo). Ceux qui avaient aimé Miss soul et Big boogaloo retrouveront leurs petits, en appréciant à la fois la continuation du trio dans le même registre (avec ce son un peu granuleux, plus rocailleux que jamais, plus sale presque, plein d’une rondeur chaleureuse qui par moments semble directement venue des glorieuses années 1970) et la diversité de ses propositions, avec d’autres références dans le viseur.

Quant à Mirabassi, il continue sur la route ouverte en 2007 avec les deux partenaires dont il n’imaginait pas alors qu’ils marcheraient ensemble au-delà des séances de Terra furiosa : Leon Parker (batterie) et Gianluca Renzi (basse). Cette fois, ce sont les reprises qui priment : quatre compositions personnelles (dont une intitulée « Pieranunzi ») sur les douze morceaux de l’album. Un répertoire qui, d’une certaine manièreest à la fois un résumé et un panorama sur la personnalité musicale du pianiste et sur les lignes de son univers : les standards en ligne de fond, le swing (Alone together, Just one of those things), les musiques de film qui parlent à l’imaginaire (Here’s to you de Morricone) et, dans la même veine, les chants politiques qu’il avait déjà abordés dans Avanti ! et qu’il se plaît parfois, par clin d’oeil insolent au monde où nous vivons, à reprendre en solo au début de ses concerts (Le Chant des partisans), les mélodies traditionnelles (Dear old Stockholm en ouverture, Vuelvo al sur de Piazzola) et, pour finir, l’exploration reconstructrice de quelques grandes cathédrales (ici, une magnifique version de « Impressions »). Difficile de résister : on avait pu avoir de vagues (très vagues) réticences sur Terra furiosa, pour le plaisir contradictoire de faire la fine bouche devant un musicien qu’on adore, et sur ce motif qu’il ne nous surprenait pas assez. Cette fois, on ne se pose même pas la question. Et probablement que si on réécoutait Terra furiosa dans la foulée…