Gérard Manset n’est pas un cas facile. Fier dans son attitude d’électron libre de la chanson française (chanson « rock » française ?), se référant autant à Ferré qu’à Dylan, alors qu’il peut dénigrer Gainsbourg comme Brassens tout en réhabilitant Jean-Patrick Capdevielle et en encensant Bob Seger (!), Gérard Manset ne cesse de revenir sur son passé en se collant des œillères devant les yeux. Gérard Manset, c’est trente ans de carrière (un premier 45t, Animal on est mal, en plein Mai 68 auquel lui sera préféré le Rain and tears des Aphrodite’s Child de Demis Roussos et Vangelis !) et une petite vingtaine d’albums passés et repassés -on pourrait dire ressassés- à la rigueur du temps et subissant les coupures et relectures de leur créateur.
Ainsi, plus de trace de Gérard Manset, son premier album de 1968 et beaucoup de difficultés à dénicher les œuvres du début. Pour quelques chansons issues de ces promesses d’avant « la grande lessive » et faute d’une platine pour disque vinyle, vous n’aurez plus qu’à faire l’acquisition de l’inégale Route Manset, hommage en onze titres de chanteurs qui doivent tous quelque chose à ce misanthrope.

Ce qui nous chagrine avec ce Manset best of, c’est justement qu’une fois de plus, le chanteur ne fait pas grand cas de ses jeunes fans qui n’étaient pas là quand tout est arrivé (en gros tout ceux qui sont nés après 68, une génération !). Pour fêter ses trente ans de carrière au sein de la protectrice maison EMI (qui, par contrat, ne peut forcer le musicien à rien), Gérard Manset aurait pu nous offrir une réédition digne de ce nom. Ce n’est pas le cas, hélas. Les quatre coffrets double CD qui sortent en même temps que cette compilation sont construits comme un collage de titres qui, s’ils ne sont pas disparates parce qu’ils suivent une certaine cohérence chronologique, ne respectent pas pour autant l’ordre original des premiers pressages de chacun des albums.

Et ces titres sont encore choisis (avec soin, dirons-nous « respectueusement »), à tel point qu’on ne saura cette fois-ci encore rien des premières œuvres qui nous manquent. Aux yeux de Manset, sa discographie ne compte que quatre-vingts titres (de 1974 à 1998) plus La Mort d’Orion mais sans l’intégralité de Gérard Manset (1968) et Long long chemin (1972), plus certains titres de Rien à raconter (1976), 2870 (1978), L’Atelier du crabe / Le Masque sur le mur, Le Train du soir (1981) et Prisonnier de l’inutile (1985).
Bien entendu, quelques titres présents au sein des ces coffrets sont des inédits, mais ce qu’on attend de Manset, c’est qu’il livre enfin la totalité de son œuvre. Il ne doit plus se croire Dieu qui « reconnaîtra les siens » et laisser éditer une intégrale à la manière de celle d’Alain Bashung, par exemple, même si sur celle-ci aussi, il manquait quelques 45t des débuts. Heureusement, il reste les chansons…